Interview de Gatien Bataille, contributeur à Cooptic et initiateur des rencontres co-construire en Wallonie

, par  Michel Briand , popularité : 9%

Voici maintenant une interview de Gatien Bataille acteur de la coopération dans les réseaux d’éducation à l’environnement en Wallonie qui a initié les rencontres co-construire à Tournai l’an passé (reconduites fin août 2019) et contributeur de l’ebook Cooptic.

Bonjour Gatien, est ce que tu pourrais te présenter ?

Je suis Gatien Bataille, 44 ans, océanologue à la base mais reconverti il y a 20 ans dans l’éducation à l’environnement. Depuis 5 ans, j’accompagne et forme des collectifs autour des pratiques collaboratives. Je m’implique dans le logiciel libre yeswiki [1], de plus en plus utilisé dans les milieux d’éducation populaire et notamment aux colibris.

Si tu avais 4 mots clés pour te définir quels seraient-ils ?

je dirais que je suis un optimiste / réaliste car j’ai tendance à voir les choses en mode positif, presque parfois un peu trop, te dirait ma femme. Cela dit je reste réaliste et critique, les pieds sur terre.

Je crois que je suis aussi un passeur car quand j’ai appris quelque chose, j’ai tout de suite envie de le partager, de l’expliquer. Au final on est quand même pas là pour très longtemps sur cette terre alors autant transmettre dès que possible.

Je dirais gentil, j’aime bien que l’on soit heureux autour de moi et j’essaie de créer les conditions pour que ce soit possible et puis, je pense avoir une certaine conscience de la place du hasard dans ma vie et ça m’aide beaucoup à relativiser.

Pourquoi es tu passé en mode collaboratif alors la société, l’école ne nous y prépare pas ?

Je ne crois pas être passé en mode collaboratif dans le sens d’un basculement, j’ai l’impression que dans les milieux que j’ai fréquenté on a toujours été en mode collaboratif, au moins un peu et en tout cas, c’est toujours ce côté là qui m’a attiré. Que ce soit dans le sport, dans les mouvements de jeunesse ou dans l’implication de mes parents dans le mouvement ouvrier de l’époque, j’ai beaucoup entendu parler de valeurs de partage autour de moi. C’est vrai qu’ensuite, confronté au reste du monde, je n’ai pas retrouvé partout ces valeurs mais je t’avoue que l’idée de consacrer du temps et de l’énergie à la compétition m’ennuie. Je ne me sens pas "en lutte".

Et puis je suis biologiste à la base et quand tu comprends un peu comment fonctionnent les écosystèmes, la vie qui nous entoure, la coopération c’est le logiciel de base en fait. Je suis intimement persuadé que c’est le fonctionnement naturel des humains. D’ailleurs quand on l’expérimente on s’en rend vite compte. Coopérer fait tellement du bien et nous rend "intelligent" dans le sens résilient en nous mettant modestement à notre place sur terre, dans les écosystèmes.

Est ce que tu pourrais évoquer un un projet collaboratif qui t’a marqué ?

Je pense à Cooptic [2] , un projet européen auquel j’ai participé en 2011-2013 avec quelques partenaires français et catalans. C’était vraiment super ce projet et je crois qu’on a vraiment bien bossé car ses productions sont encore utilisées aujourd’hui. Ce qui était vraiment frappant c’est la qualité et l’efficacité du travail fourni malgré la distance entre les partenaires, le tout en plus dans une ambiance super conviviale. On collaborait grâce à des outils et des méthodes, que parfois d’ailleurs on expérimentait, pour produire des contenus sur les pratiques collaboratives. De la théorie à la pratique et de la pratique à la théorie ! Cela a été mon premier projet collaboratif d’ampleur qui a pas mal influencé la suite de mon parcours personnel et professionnel.

Et dans les réseaux belges auxquels tu participes, y a t il un ou deux autres projetsdont tu voudrais nous parler ?

Favoriser la pratique de la sortie nature en Belgique francophone pour tous les publics

Je pense notamment au collectif Tous dehors dans lequel je suis fortement impliqué et qui vise à voir comment on peut remettre les élèves dehors plutôt que de faire tous les apprentissages en classe ; comme c’est le cas aujourd’hui. Pour mener ce projet, un collectif de gens d’horizons différents, des enseignants, des animateurs, des inspecteurs, des parents s’est constitué et mis au travail. Dans ce projet, on a vraiment pu s’amuser avec les techniques numériques et non numériques de collaboration avec des résultats vraiment supers. En 4 ans, le groupe est parvenu à créer des productions de grande qualité reconnues en Belgique et ailleurs. Vraiment je suis convaincu que ceci n’a été possible que parce qu’on a veillé aux outils et méthodologies utilisées et notamment un choix conscient de licence ouverte pour nos productions.

Le livre : Trésors du dehors
Auprès de nos arbres, enseignons heureux !

Ce livre est un merveilleux stimulant pour enseigner dehors, en associant bien-être et apprentissages. Au travers des témoignages d’une vingtaine d’enseignants qui sortent avec leurs classes, le collectif Tous Dehors vous invite à découvrir le dehors comme un élément essentiel du développement cognitif, psychomoteur et relationnel de l’enfant.

extrait de l page de présentation du livre

Comme autre projet, je pense aussi aux rencontres coconstruire qu’on a mises sur pied en août 2017. Ce fut aussi une chouette expérience de collaboration puisque pendant presque un an nous avons travaillé à créer les conditions favorables pour co-construire avec toutes les personnes intéressées le contenu de ces rencontres de 3 jours.

Est ce que tu pourrais nous parler de ta motivation à organiser coconstruire justement et le bilan que tu en retires ?

Coconstruire c’est quelques chose qui trainait dans ma tête depuis longtemps. Cela fait quelques années que je participe au Forum des usages coopératifs de Brest et à Moustic et pour moi il manquait un événement de ce type en Belgique. Tout ce que je trouvais ressemblait plutôt à un salon de la startup numérique où l’on passe plus de temps à s’échanger des cartes de visites et à voir qui aura décroché le plus beau contrat que d’échanger vraiment sur les sujets à enjeux et à se filer des trucs et astuces. L’envie de départ était vraiment de reproduire ce que je vivais au forum de Brest et aux rencontres Moustic à Montpellier. Il a fallu du temps pour mobiliser un peu autour de moi car en Belgique, même si ça bouge, il y avait un vrai besoin d’expliquer ce que c’est. Cela paraissait encore très utopique pour beaucoup de gens.

Je voulais vraiment qu’on soit dans une ambiance “forum ouvert”, que les gens passent un bon moment et qu’en plus de tout cela, ils puissent monter en compétences. Je voulais aussi sortir des canevas habituels et mettre les gens directement en posture d’action. C’est pourquoi, nous avons opté pour une conférence inaugurale sans conférencier. J’étais persuadé qu’on était bien assez nombreux et malins pour pouvoir créer le contenu de cette conférence en direct et ce fut le cas. Je crois sincèrement que cette activité collective de départ a fortement influé positivement sur l’ambiance générale des 3 jours.

En terme de bilan, 345 participants pour une première c’est pas trop mal… très satisfait aussi d’avoir pu monter tout ça collectivement, Et puis plus égoïstement Je dois dire que tout cela m’a fait un bien fou et m’a permis de gagner en crédibilité auprès des nombreux collectifs, structures, personnes qui me regardaient jusque là comme un gentil utopiste un peu casse bonbon avec son partage sincère et ses pratiques bizarres.

Est ce que selon toi, cette envie de coopérer est en progression ?

Je dirais qu’il y a un intérêt croissant pour ces pratiques par contre je suis pas certain que chacun en ait bien compris les enjeux. C’est presque devenu un mot à placer absolument dans un rapport ou une discussion. Mais c’est vrai aussi que dès qu’on gratte un peu, que l’on aborde les valeurs qui sont derrière, très rapidement, y a plein de gens qui ne sont plus tout à fait là…

Cela dit la coopération progresse et parfois plus rapidement dans certains milieux qu’on pourrait estimer moins propices. Par exemple, on pourrait croire que dans le secteur “non marchand” ces pratiques, cette idée de partage seraient vite acquises, voir déjà acquises. Pourtant ce n ‘est pas pas toujours le cas, et il n’est pas rare de voir des structures “non marchandes” être de parfaits espaces de non collaboration.

Qu’est ce qui selon toi est un frein à cette collaboration ?

En premier lieu, je dirais la peur et son pendant : le manque de confiance en soi.
Je pense que faire collectif demande de la confiance envers les autres, envers ce qui nous entoure et ça, ce n’est pas du tout ce que la société nous enseigne...

L’ambiance générale de crise nous pousse à des réflexes de base égoïstes souvent contre productifs. Pascal Chabot, un philosophe belge a pas mal écrit là- dessus notamment dans son livre "l’âge des transitions" en décortiquant ce qui rend notamment difficile le passage en mode transition... On sait que l’humain préfère le confort d’une situation insatisfaisante à l’inconfort d’une situation en changement... ce qui est exactement la transition !

Je crois que l’ego non mesuré est aussi un frein. Quand la société est au service de mon ego plutôt que mon ego au service de la société, cela ne fonctionne pas bien. Dans une société basée sur la performance et le culte de soi, on a tendance à voir les ego gonfler, à oublier la part importante du hasard dans nos vies, nos réussites. Quand on a du mal à gérer cette part du hasard, on a du mal à lâcher prise et à partager vraiment ce qui est le troisième frein selon moi.

Et du coup qu’est ce qui serait facilitateur alors ?

J’ai le sentiment qu’avoir une posture réflexive, prendre du recul sur les choses, relativiser, prendre conscience de ce qui se passe sans pour autant en faire tout un pataquès aide pas mal.

Je pense aussi que pratiquer, passer en mode concret, rendre visible que c’est possible, ça fait du bien et ça donne envie de refaire.

Et puis faire un travail sur les outils utilisés et les licences cela facilite quand même vraiment la vie des collectifs.

Aurais tu quelques lectures ou personnes inspirantes sur la coopération à nous partager ?

je trouve que Gorz et Illich sont vraiment des auteurs qui aident à penser. Leurs écrits restent vraiment d’actualité je trouve, notamment la notion d’outil convivial chez Illich.

Après, j’aime vraiment bien le travail de Pascal Chabot et l’éclairage qu’il met sur ces périodes étonnantes que sont les phases de disparition d’un monde au profit d’un autre à construire. Dans cette optique, Michel Bauwens est aussi très intéressant.

Après sinon, c’est plutôt des discussions avec Laurent Marseault. On s’est croisé sur un hasard il y a plus de 10 ans mais cela a tout de suite fonctionné et on a continué à échanger. Laurent a une capacité à prendre de la hauteur, d’élargir le contexte que je trouve très agréable. Je pense que lui, il aime bien que je le titille sur des sujets avec des questions piquantes. Ces échanges sont pour moi d’une grande richesse qui me ressourcent à chaque fois.