Vers une république des communs, notes de lecture

, par  Michel Briand , popularité : 8%

Contribuant à la présentation de l’ouvrage Vers une République des biens communs ? organisée par la Coop des communs le 12 novembre j’ai rédigé quelques notes de lecture relatives à la présentation des chapitres 12 à 20 des sections 4 "Communs, Villes et Territoires" et 5 "Communs, Acteurs et Action Publique".

Cet ouvrage fat suite au colloque de Cerisy d’aout 2016 "Vers une république des communs" animé par Nicole ALIX, Jean-Louis BANCEL, Benjamin CORIAT, Frédéric SULTAN.
et dont voici la présentation :

Mieux connu depuis l’attribution, en octobre 2009, du prix Nobel d’économie à Elinor Ostrom, le concept de "communs" ou de "biens communs" fait actuellement florès dans de nombreuses disciplines : économie, gestion, droit et science politique, mais aussi dans les programmes de militants et responsables politiques. Ainsi le Parlement européen a constitué un intergroupe dédié aux "services publics et biens communs". Surtout, de très nombreuses initiatives témoignent de la vitalité de nouvelles forces sociales du vivre et produire ensemble et autrement, pour promouvoir des laboratoires citoyens et économiques dans les domaines tels que l’économie collaborative, la santé, l’éducation, la transition énergétique, le domaine foncier et pour utiliser des logiques de biens communs pour une gouvernance plus démocratique de fourniture de services d’intérêt général et élargir les choix dans les partenariats publics/privés.

Dans ces temps de mutations économiques, technologiques, écologiques, sociales, majeures, ce colloque est conçu comme un carrefour pluridisciplinaire de rencontres et d’échanges entre chercheurs et acteurs, venant de plusieurs pays européens, pour cerner le contenu du concept de biens communs et sa capacité à permettre la construction d’une nouvelle manière de vivre en société.

voir aussi :
 L’introduction de l’ouvrage
 [Les vidéos des conférences du colloque- http://www.colloque-tv.com/colloques/vers-une-republique-des-biens-communs]
 la présentation de la rencontre débatsur la Coop des communs

Les chapitres des notes de lecture

IV. Communs, Villes et Territoires

 Chapitre 12. Un nouveau principe pour l’administration partagée de biens communs, par Gregorio ARENA

 Chapitre 13. Le nouveau paradigme politique du commun à Barcelone et en Catalogne : un municipalisme des communs, par Pierre SAUVÊTRE

 Chapitre 14. L’entreprise comme commun de territoire, par Hervé DEFALVARD

 Chapitre 15. Repenser l’aide publique au développement au prisme des communs, par Stéphanie LEYRONAS

V. Communs, Acteurs et Action Publique

 Chapitre 16. Communs et républicanisme : l’expérience de la Révolution française, par Yannick BOSC

 Chapitre 17. Des petites républiques berbères ordonnées autour de communs, par Sarah VANUXEM

 Chapitre 18. Biens publics, communs et État : quand la démocratie fait lien, par Fabienne ORSI

 Chapitre 19. Bien public ou bien commun : pour une finance au service de la société, par Catherine KARYOTIS

 Chapitre 20. Facilitatrice, protectrice, instituante, contributrice : la loi et les communs, par Valérie PEUGEOT


les notes de lecture

Les deux premiers articles de la section 4 « Communs villes et territoires » sont une belle illustration de l’ancrage récent des communs dans le champ de la politique au sens premier de vie dans la cité. Nous voici entrés entrés dans une phase nouvelle où les communs entre dans le débat politique en renouvelant les modes d’action et de réflexion.

Le chapitre 12 sur "L’administration partagée des biens communs en Italie" de Gregorio Arena est un exemple abouti du renouvellement de la relation entre l’autorité public et les communautés de citoyens devenus interlocuteurs. L’exemple Italien s’appuie sur un principe de subsidiarité inscrit dans la constitution italienne appelant l’état et les collectivités à « favoriser l’initiative autonome des citoyens, individuellement ou en association afin de réaliser des activités d’intérêt général ». Cette subsidiarité a permis une mise en œuvre d’une administration partagée par 120 communes dont Bologne en 2014 en s’appuyant sur un règlement intérieur type élaboré par le Labsus, laboratoire de la subsidiarité. Ce chapitre détaille de façon très éclairante le contenu et la mise en œuvre à travers des pactes de collaboration sur un large champ de possibles : jardins publics, rues, écoles, toute une série de biens publics souvent délaissés et qui par l’implication d’une communauté qui en prend soin deviennent des biens communs. Ayant été élu local à Brest j’ai pu constater la difficulté d’ouvrir les écoles au quartier et où dans un programme d’espaces numérique je ne suis arrivé à n’ouvrir que 2 écoles par an sur une quinzaine d’années aussi j’en profite ici pour souhaiter un donner à voir qui documente et favorise des possibles. Comment une communauté donne une nouvelle identité à un bien public en précise l’intérêt général et le transforme en bien commun ?. L’auteur chiffre ainsi à 5 millions ces biens public, communs potentiels en Italie auquel contribue aussi l’école italienne des biens communs fondée par le Labsus avec l’université de Trente.

Le chapitre écrit par Pierre Sauvêtre sur "Le nouveau paradigme politique du commun à Barcelone et en Catalogne et le municipalisme des communs" nous montre la transformation de communautés de citoyens constitués en interlocuteurs, contributeurs à l’élaboration de l’action publique. Ce chapitre nous relate la méthode politique des communs et la victoire aux élections de la liste « Barcelone en communs » dans une nouvelle manière de faire basée sur la l’implication, la coopération, la co-responsabilté et l’inclusion, une démarche portée également à l’échelle de la Catalogne par « Un pays en commun ».

Cet exercice partagé du pouvoir est ancré sur une auto organisation citoyenne issue des mouvements sociaux des indignés, des luttes contre les expulsions ; des mouvement, pour l’éducation et la santé. Les politiques municipales mises en œuvre relèvent d’une réappropriation (municipalisation de l’eau et de l’énergie) dans laquelle la citoyenneté a un rôle actif et régulateur comme dans la limitation des locations touristiques du centre ville. L’économie locale des communs s’appuie sur une implication active des habitants autour de services et de politiques publics co-produits et co-régulés et qui interpelle aussi un système politique basé exclusivement sur la représentation.

Pour prolonger cette description des communs comme méthode d’un municipalisme naissant je voudrais poser la question à l’auteur si à côté de Barcelone d’autres politiques des communs ont été développées en Catalogne et en espagne et si elles sont documentées toujours pour en faire des sources d’inspiration.

Dans "L’entreprise comme commun de territoire", Hervé DEFALVARD, propose une réflexion à partir de 3 cas de réappropriation par leurs salariés d’entreprises mises en liquidation (Fralib à Géménos, Jeannettes à Caen et Cipa dans les Vosses) où il relie l’entreprise comme commun de travail et comme commun du territoire. Au delà des coopératives de production et des comité de gestion d’entreprises à la Libération, l’auteur interroge le renouveau des communs de travail, où les salariés font vivre en acte un droit d’usage de l’entreprise délaissée par ses actionnaires.

Cette interaction au territoire est analysée commune une forme de gouvernance polycentrique ancrée au territoire. Une gouvernance dont l’auteur ébauche quelques développements possibles à travers le comité d’entreprise, ou une loi d’expérimentation ouvrant de nouveaux possibles territoriaux ens commençant par les entreprises en difficulté.

Et une double question est ce que dans le vaste champ de collectivités cette question du commun de travail a donné lieu à des expérimentations ?

et en faisant un pas de côté est ce que des modèles hybrides de créations d’activité des villes en transition ne relèvent pas de ces nouveaux « communs de travail du territoire » tel celui popularisé par le film de Marie-Monique Robin « Qu’est-ce qu’on attend ? »où la municipalité d’ Ungersheim (2000 habitants) a coproduit 100 emplois en cinq ans ?

 L’article de Stéphanie LEYRONAS "Repenser l’aide publique au développement au prisme des communs", présente les « narratifs » qui ont accompagné depuis cinquante ans l’aide publique au développement. Les questions du développement durable et aujourd’hui la notion de « bien public mondial » ouvrent un nouvel espace au champ des communs à préserver ou renforcer.

La notion polymorphe de communs, ressource à protéger des enclosures pour les uns ou projet social pour les autres remet au centre une préoccupation d’équité.

Si les agences de coopération accompagnent depuis longtemps l’émergence de nouveaux communs cela ne va pas sans difficulté pour s’adapter à des approches fonctionnelles basées sur les usages, pour des acteurs qui sont eux plutôt dans des logiques institutionnelles.

La question qui est posée est celle de l’opérationnalisation des communs dans un champ d’application considérable, fertile pour l’innovation et invite à mettre l’accent sur les acteurs et leur interaction.

Là aussi ma question portera sur la documentation de ces approches en tant que communs en particulier pour toutes les aides au développement basés sur les jumelages où le comment faire des communs accompagnés, peut être mobilisateur.

Après ces 4 articles autour du territoire, viennent 5 articles autour de l’action publique.

 Dans son article « Communs et républicanisme : l’expérience de la Révolution française » Yannick BOSC analyse l’évolution de l’idée de propriété inclue en 1789 dans les droits naturels de l’homme et du citoyen : support du droit à l’existence ou outil de confinement des communs ?

Ce chapitre éclaire un moment de débat méconnu quant à l’histoire du droit de propriété et sa place dans la hiérarchie des valeurs et rend compte du rapport de force qui a institué sa suprématie actuelle.

Dans l’article suivant Des petites républiques berbères ordonnées autour de communs de Sarah VANUXEM nous voici à la découverte des ces communs toujours vivant des communautés berbères autour de foncier, de récoltes et de grenier collectif. L’auteure décrit finement le fonctionnement de ces communautés de montagne et montre le lent déclin de ces droits coutumiers et leur fragilité dans un état contemporain qui a abrogé les droits coutumiers.

 Dans « Biens publics, communs et État : quand la démocratie fait lien », Fabienne ORSI nous décrit comment l’Etat « gardien » et administrateur des bien public s’arroge les pouvoirs d’un possesseur, propriétaire du bien public.

Fondé en droit romain sur l’usage de tous et la propriété de tous, les biens publics sont devenus avec l’avénement de l’état nation, à la fin du XIX ème siècle des propriétés de l’Etat. Cette appropriation qui étend progressivement un droit subjectif à l’état puis aux collectivités et qui sera parachevé en 2006 par l’adoption du code général de la propriété des personnes publiques qui transpose le droit de la propriété privée au droit des biens publics. L’administration est seule gestionnaire des biens publics y compris dans une logique de plus en plus commerciale.

C’est en Italie qu’est apparu un espoir de renouveau ? Dans le contexte de privatisation des services publics locaux est né un mouvement « eau bien commun » de reconquête démocratique des biens publics. Porté par une alliance inédite du mouvement social et de juristes il aboutira à un référendum d’initiative populaire qui refusera en 2011 la privatisation de la gestion de l’eau.

Le projet de loi de la commission animée par Stefano Rodatà visant à instaurer une catégorie juridique de biens communs n’aboutira pas. Mais cette élaboration dans un contexte italien de subsidiarité décrit dans le premier article a permis son appropriation par certaines communes tel Naples qui l’a introduite dans son statut municipal.

Ces expériences municipales de reconquête démocratique des biens publics se constituent en réseaux en Europe autour du mouvement des communs urbains. Peut- être pourrais tu nous en dire quelques mots ?

 Dans le chapitre « Bien public ou bien commun : pour une finance au service de la société  », Catherine KARYOTIS, analyse la crise financière de 2007 comme la fin d’une époque, celle d’un capitalisme financier débridé où « l’humanité ne peut plus qu’imploser ou se métamorphoser ». Elle appelle de ses voeux la résurgence d’un capitalisme rhénan au service de l’économie réelle et propose une « remutualisation » des Bourses, une évolution qui reste éloignée des tendances actuelles et des volontés des états.

Dans le dernier article « Facilitatrice, protectrice, instituante, contributrice : la loi et les communs  », Valérie PEUGEOT éclaire une prise en compte des communs dans quatre lois récentes. Au delà du retrait des communs du projet de loi sur le numérique, résultat du poids accordé par le gouvernement aux des industries culturelles, des avancées significatives se sont fait jour ces dernières années.Dans la loi Alur tout d’abord en 2014 qui a défini le cadre juridique des organismes de Foncier solidaire qui permettent de séparer l’acquisition du terrain de la propriété par les ménages du logement faisant chuter le prix du bati en zone urbaine. Cette loi est aussi facilitatrice de l’habitat participatif par un statut de société adapté. La loi relative à l’économie sociale et solidaire participe à une dynamique favorable aux communs par une définition de l’ESS élargie au delà de l’ancienne approche des statuts en prenant en compte la finalité, la gouvernance et le mode de gestion. Et aussi par une inscription dans le droit de l’innovation sociale, ouverture d’une troisiéme voie au delà du marché et des politiques publiques pour répondre à des besoins sociaux, par l’encouragement aux statuts coopératifs (SCOP et SCIC) et aux coopératives d’activité et d’emploi (CAE) et la prise en compte des monnaies locales. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015) est un encouragement aux communs locaux de l’énergie et à l’autoconsommation locale et collective (ordonnance de 2016). La loi de 2016 sur biodiversité introduit les servitudes environnementales, auto limitation des droits d’usage qui ouvre la voie à des communs environnementaux volontaires, protège les droits d’usage des semences soumises à des brevets. Si la loi République numérique n’a pu nommer les communs ils apparaissent toutefois à travers l’ouverture par défaut des données publiques, l’exception au droit de panorama (limité au non commercial) et l’élargissement de l’Open acces avec la possibilité donnée aux chercheurs de rompre après un délai de 6 à 12 mois l’exclusivité accordée aux revues scientifiques et l’autorisation de la fouille de données et enfin par l’inscription dans le droit de la neutralité du net. L’auteure identifie ainsi 4 fonctions pour la loi en faveur des communs : déserrer le cadre étroit du droit de propriété, protéger les communs des risques d’enclosure, favoriser des formes de gouvernance coopératives et démocratiques, encourager les pratiques sociales des communs présentées à travers 4 postures de l’état facilitateur, protecteur, instituant et contributeur.

Et une question pour Valérie comment perçois tu aujourd’hui la perception des communs du côté des acteurs législatifs (députés sénateurs) et y-a-t-il une avancée de ces postures (facilitateur, protecteur, instituant et contributeur) du côté des collectivités locales ?