Interview de Boris Beaulant, créateur et animateur de la plate forme collaborative autour du travail du bois « l’Air du Bois »

, par  Michel Briand , popularité : 9%

L’Air du Bois est une plate-forme qui rassemble des milliers d’amateurs et de professionnels du travail du bois. Son créateur, Boris Beaulant [1] a fait le choix de créer un outil qui met en partage et facilite l’échange autour des réalisations publiées par un millier de contributeurs. Une mise en communs peu fréquente dans le milieu des artisans et qui rencontre ici son public. « C’est parce que cela sert à beaucoup que cela a du sens » une belle philosophie de partage que nous présente son créateur. Après le succès de la plate forme, il faut aussi que le projet lui survive : ne soit pas complètement dépendant de lui et serve aussi à d’autres créations des questions qui nous ramènent aux communs ..

Bonjour Boris pouvez vous vous présenter en quelques mots ?

Initialement, j’ai une formation d’ingénieur Télécom (ENIC à Lille devenue aujourd’hui l’IMT Lille Douai), ensuite j’ai travaillé 10 ans dans le jeu vidéo essentiellement comme programmeur. En parallèle de cela, j’ai toujours eu la passion travailler le bois et au fur et à mesure, je me suis équipé jusqu’à me faire un petit atelier. Dans mon premier métier j’ai pas mal utilisé et contribué à des outils logiciels open source que j’avais commencé à découvrir lors de ma formation. Et en 2013 quand je me suis dit que j’avais plus envie de faire des choses avec mes mains plutôt qu’au bout de mes doigts avec un clavier, cela m’a paru logique de mélanger un peu les deux : cette envie de contribuer à un commun en partageant ce que je pouvais réaliser en bois.

Une envie de partage mais pas juste pour montrer plutôt un partage d’expériences et la constitution d’une base de connaissances utile à d’autres. À cette époque j’avais un blog peu visible et je voulais mélanger cette envie de me reconvertir dans les métiers de l’ébénisterie, (ce que je fais aujourd’hui, c’est devenu mon métier) et en même temps continuer à utiliser ces compétences de programmeur dans le Web, pour pouvoir créer un outil où je pourrai publier mes réalisations dans le format que je veux.

Le blog ne me convenait pas. C’était un outil trop calé sur une publication par date alors que je voulais pouvoir publier des plans et schémas de réalisations en bois avec une organisation mieux pensée, plus structurée. Et je me suis dit qu’en créant un outil personnel où je mettrai une publication tous les trois mois, ce n’est pas cela qui le rendra plus visible et plus utile. C’est là que m’est venue l’idée de rendre l’outil disponible à qui veut. Alors l’outil sera plus puissant.

C’est de là qu’est née l’envie de créer cette plateforme. Il y a énormément de choses qui existent dans divers outils, les réseaux sociaux, les forums, les plateformes de vidéo, etc. Pour moi ce qui manquait c’était de pouvoir agréger les points intéressants de chacun dans un seul outil. Un outil qui soit utile mais sans idée de vente à long terme ni de servir de support à un commerce particulier. L’envie était vraiment de constituer un espace d’échange autour du travail du bois.

La création de cet outil est corrélé avec ma reconversion professionnelle d’informaticien à ébéniste. Mais depuis le début, le projet L’Air du Bois s’est voulu indépendant de mon activité professionnelle. Depuis le début, il se destinait à être un outil que chacun puisse s’approprier. Une sorte d’ébauche de projet citoyen qui pourrait donner l’envie à plus de monde de le rejoindre. Un projet qui se lance sur des idées et non juste sur un modèle.

J’ai acheté le domaine « lairdubois.fr » en 2011, c’était pour autre chose qui ne s’est pas fait, le nom m’avait plus plus à l’époque. Alors, je l’ai repris et le développement de la plateforme à commencé en 2013.

Pouvez vous présenter la plate-forme collaborative “L’Air du Bois” ?

Mon envie était principalement de créer un espace qui appartienne à ceux qui l’utilisent. C’est une plate-forme qui est prévue pour un partage autour du bois et pas autre chose. L’idée est de chercher l’émulsion des connaissances et des idées. Jusque là rien de très innovant. Mais là où il me semblait important d’opposer un autre modèle, c’est sur l’ambition même de la plateforme. En opposition au modèle des géants du web, grandement basé sur la gratuité en échange d’un financement par la publicité ou autres usages des données, le modèle mis en pratique ici repose sur la participation et chacun et à la hauteur de ses envie et compétences. Ainsi, l’accès est tout aussi gratuit, mais l’ambition n’est plus du tout la même.
Il n’est pas du tout dans les gènes du projet de juste agréger des gens, pour finir par leur vendre quelque chose. L’idée était vraiment de réfléchir à un outil qui serve à ce pourquoi il est fait dans un esprit où tout son contenu soit accessible à tout le monde.

Avec l’envie de construire une plate-forme qui soit indexée par les moteurs de recherche pour que cette information circule et puisse être utile (ce qui nécessite qu’elle soit trouvée). Parce que c’est bien beau de faire de belles publications avec des photos, des textes de documentation sur une méthode que l’on rend accessible tout le monde, si personne ne les trouve, on n’a rien fait.

Le fait que les créations soient publiées en Creative Commons (CC by sa nc) permet qu’elles soient réutilisée et modifiables y compris sur d’autres plates-formes pour pas qu’on enferme les gens là. L’idée de L’Air du Bois était aussi d’être une boîte à outils. Les choses sont arrivées comme je les ai senties, comme je les ai imaginées, comme j’en ai discuté avec les premiers utilisateurs et l’outil a un passé, il a des choses en place, mais il est toujours ouvert à changer et évoluer avec les contributions de chacun.

Le principal n’était pas de mettre des textes des photos en ligne et de se dire c’est disponible à tout le monde faites en ce que vous voulez mais de travailler aussi sur l’emballage : fournir un outil qui sache mettre en forme le contenu, qui sache le rendre accessible, agréable à lire et tout cela avec un minimum de compétences ou de temps nécessaire aux contributeurs pour le faire. Une envie d’optimiser pour que vous puissiez montrer ce que vous faites, l’expliquer, le questionner.

Les deux grandes types de contenu de l’air du bois

Quand on arrive sur le site on voit les réalisations des contributeurs, ce que l’on appelle les créations. Ce type de contenu : les créations, les questions les plans, les pas à pas, sont des publications qui ont un auteur et c’est cet auteur qui autorise la réutilisation se son contenu.

Mais il y a aussi d’autres catégories où les contenus n’ont pas auteur par exemple la xylothèque où le but est de créé un catalogue des différentes essences de bois avec les caractéristiques de chacun. Et là on dans un mode d’écriture avec des champs prèdéfini où chacun peut participer. Ce type de contenu plus collaboratif n’a pas d’auteur. Il a seulement une liste de contributeurs. Il se décline pour les essences de bois et les livres qui parlent du bois. Cela est plus comparable au mode de fonctionnement de Wikipédia. C’est aussi le cas pour des choses qui sont plus en lien avec d’autres acteurs économiques du milieu comme les fournisseurs de bois, de vis, de quincaillerie, les écoles pour trouver des centres de formation.

Si vous aviez quelques mots clés pour exprimer le sens de votre démarche collaborative quels seraient-ils ?

Utilité  : c’est un mot qui symbolise le projet que j’ai voulu faire, ce n’est pas forcément ce qu’il est, dans mon ambition il y a aussi qu’il devienne ce que les gens ont envie qu’il soit. Pas que ce soit juste pour mettre des photos que cela soit beau, mais que cela serve, que cela suscite des vocations.

Commun  : une volonté que l’outil et son contenu soit une contribution à un effort commun de partage de savoirs.

Ouverture  : l’outil est un projet qui se veut être à l’écoute pour qu’il remplisse ses autres missions à savoir être utile pour le commun.

L'Air du Bois : un réseau social solidaire - Boris Beaulant - MiXiT 2018 from MiXiT on Vimeo.

L’Air du Bois : un réseau social solidaire - Boris Beaulant - MiXiT 2018 vidéo sur vimeo.

Qu’est ce qui vous a motivé à mettre en place ce projet et à faire le choix d’une approche basée sur la collaboration et le partage ?

C’est une envie, un retour d’expérience de quelque chose que j’ai vécu en tant que consommateur de l’open source pour lequel j’étais légèrement contributeur et où j’ai trouvé un réel plaisir à contribuer pour des outils pour lesquels j’avais beaucoup consommé. Mon nouveau métier participe à nourrir le contenu de la plate-forme et peut aussi se nourrir des échanges qui y sont fait. J’avais envie d’aborder mon nouveau métier à travers cet axe du partage libre du savoir pour concentrer le modèle économique sur l’exécution et le service : « j’échange les idées, je vends le service ». C’est cela la philosophie de mon travail d’aujourd’hui.

En regardant ce qu’il y a autour du web, notamment du côté des géants du numérique je trouve qu’il y a des retours en arrière sur les idées de partage du web des années 90 - 2000 et j’ai envie de montrer par ce projet : « regardez on peut faire autrement que de juste se faire financer par la publicité ». Et si chacun donne un peu quelque chose, du temps, de l’argent, des idées, on peut arriver à un résultat bien au-delà.

Pouvez vous nous présenter la communauté des contributeurs et ce qui selon vous amène les personnes à contribuer ?  

Je vais vous répondre selon un point de vue subjectif, il faudrait que j’ai de plus de données quantitatives pouvoir répondre de manière précise. Les contributeurs pratiquent l’activité du travail du bois et majoritairement ce sont des amoureux du bois qui le travaillent en amateur sur leur temps de loisirs. Il y a aussi une bonne poignée de professionnels qui sont un peu comme moi à leur compte. Il y a peu de personnes qui sont dans une entreprise autour du bois et qui viendraient là pour partager des choses qui se passent dans leur entreprise.

Pour moi tout le monde est contributeur même quelqu’un qui n’écrit pas, quelqu’un qui visite le site est un contributeur. Il y a près de 10 000 inscrits c’est à dire de personnes qui ont apprécié suffisamment pour faire la démarche, au moins par curiosité, de s’inscrire. Au quotidien je pense qu’il y a une bonne centaine d’actifs et le site voit passer en moyenne 3500 visiteurs par jour. Ce qui me rassure c’est que ce nombre indique que le site est bien référencé par ailleurs.

Est-ce que dans les personnes qui sont actives vous pensez que certains ont pu être gênées par la licence creative commons ?

Non je ne crois pas, les quelques personnes pour qui cela a pu se poser ont quitté et créé leur propre site ou page sur les réseaux sociaux ; cela les a gênés peut-être parce que c’est un concept différent. Mais parmi les contributeurs une partie n’en a, à mon avis, pas conscience. On est quand même sur une question dont je n’avais pas appréhendé la difficulté au début. Dans le monde de l’informatique on baigne un petit peu dedans et le Creative Commons, on le comprend. Dans le bois, l’ordinateur reste un outil annexe. Je serais curieux de savoir le nombre de contributeurs qui se sont intéressés à ce que veut dire « que les contenus sont mis à disposition sous une licence Creative Commons ».

Y a-t-il beaucoup d’échanges entre contributeurs ?

Par l’intermédiaire des commentaires, de façon publique, il y a déjà pas mal d’échanges. Il y a aussi un système qui permet des échanges privés sur la plate-forme et au vu du nombre de messages qu’il y a dans la base, clairement oui. Après moi-même à titre personnel, cela m’est arrivé d’en rencontrer beaucoup dans la vraie vie, de dépasser l’écran à l’occasion d’un service ou d’uns discussion. Demain, par exemple, je vais aller dans une école d’ébénisterie sur Avignon pour présenter la plate-forme et cela m’a été permis par quelqu’un d’autre de la plate-forme qui a fait cette école.

Est ce qu’il y a des contributeurs qui participent à l’animation du site ?

Pour moi tous ceux qui contribuent sont des personnes qui participent à l’animation du site, parce que sans contribution le site ne serait pas intéressant.

Animation au sens et l’évolution du site

Il y en a mais ce sont des choses qu’il faut amener. J’ai eu des remarques du type ce serait bien que cela évolue, que l’on ait tel type de rubrique, mais c’est plutôt en mode demande plus qu’en mode « tiens si tu veux je prends la main sur ».

Il y a eu aussi récemment quelqu’un qui m’a proposé d’aller négocier des tarifs auprès de fournisseurs de machines à bois pour les membres de la plate-forme.

La plate-forme permet la réutilisation des plans d’objet mis en partage en licence CC by sa nc, est ce qu’une activité économique par des artisans qui souhaiteraient fabriquer pour des particuliers a été envisagée ?

Il y a des contributeurs qui ont utilisé les plans pour réaliser des meubles et les vendre, oui.

Dans mon cas, il y en a sûrement plus que je ne le sais. C’est cette démarche de partage que je souhaitais. Ce qui est possible dans un sens l’est aussi dans l’autre : si j’ai donné je pourrais recevoir et cela ne sera pas un problème. Cela veut dire que la réutilisation a aidé des collègues qui sont à l’autre bout de la France ou du monde parce qu’ils avaient besoin de répondre à un client et de toute façon, je n’aurais pas été vendre mon produit à des clients que je ne connaissais pas.

Et plutôt que de le copier et de ne rien dire à personne, le fait d’avoir affiché « oui je t’autorise à le faire », ils n’ont pas eu honte de s’inspirer et de citer leur source. Et pour moi d’un point de vue artisan donner l’idée c’est donner la possibilité qu’elle se diffuse et c’est aussi gagner en image et visibilité.

C’est un moyen de faire vivre un modèle économique différent de ce que l’on a l’habitude de voir où l’on garde pour soi les idées, les brevets et qu’on est seul à avoir le droit les vendre etc. Avec la plate forme on est plutôt dans un mode « là je l’ai vu faire » et je suis content d’avoir réalisé les outils pour que cela se diffuse. C’est un peu sur ce mode que je milite dans le secteur bois où la culture du secret, de la propriété de l’idée est encore assez présente même si tout le monde se sert de tout le monde mais ne se sent pas le droit de dire de qui on s’est inspiré. C’est un peu dommage parce que cela bloque une émulsion collective qui pourrait être encore plus grande.

Quels sont les freins ou les difficultés rencontrées dans le développement du projet ?

Je n’ai pas trop rencontré de freins techniques. C’est plus le frein de faire comprendre initialement le projet à des gens pour qu’ils aient envie de s’y intéresser et de voir que cela pouvait potentiellement les aider . « Il travaille, il nous fournit un contenu et il ne nous vend rien ! C’est louche ! ». C’est sur cette difficulté initiale que j’ai eu du mal à trouver un message clair. Je ne vous vends rien, ni aujourd’hui, ni demain. L’idée n’est pas la. Ce n’est pas pour autant que je souhaite m’investir corps et âme gratuitement. C’est un effort commun. Il y a une époque dans ma vie où j’ai eu le temps de faire, maintenant c’est fait et il y a aussi un moment où j’ai envie d’utiliser la plate-forme pour me nourrir de ce qu’elle apporte. Cet outil pouvait être perçu comme trop professionnel dans son apparence. J’ai voulu faire quelque chose de “beau” pour attirer les utilisateurs et j’ai eu un peu la sensation d’un effet inverse.

Si en terme de développement, de prolongement vous aviez des demandes à formuler quelles seraient-elles ?

Mon envie c’est que cela interagisse plus avec autre chose que l’Air du Bois, avec d’autres plate-forme d’autres groupes d’échanges ayant la même philosophie. J’ai envie que cela s’inscrive dans quelque chose de beaucoup plus grand une sorte d’université du bois.

Je voudrais que le projet sache me survivre, aujourd’hui j’essaie de mettre en place des choses mais ce n’est pas évident. Il y a “me survivre”, au sens que le projet ne soit pas complètement dépendant de moi et il y a que le projet serve à créer autre chose. Aujourd’hui je suis le seul à savoir comment le projet est construit et n’ai pas le temps nécessaire à en écrire une documentation complète. D’autant que les technologies se périment vite dans l’informatique.

Mon idée initiale était qu’il n’y ait pas de structure pour ne pas s’embêter avec cela mais globalement il faudra toujours se poser la question de qui paye les serveurs, de qui a la mission de le maintenir ou même d’avoir un accès dessus. Cela ne peut pas être partagé à toute la communauté des utilisateurs.

Aujourd’hui, par un système de dons intégré à la plateforme qui constitue une cagnotte, je me charge de payer les frais du projet, il n’y a pas d’autre aide, il n’y a pas une association derrière, et ce serait bien un jour d’en discuter pour savoir à qui il appartient d’un point de vue juridique !

Pour ma part je ne veux pas en tirer profit personnel, j’ai envie que sur cette plate-forme j’ai le même bénéfice que n’importe qui. J’ai voulu c’est horizontalité parce que je trouve cela plus sain qu’aucun utilisateur n’ait plus de droits que les autres. Si quelqu’un peut choisir quel modèle est plus mis en avant on revient dans un systéme que je n’aime pas. On oublie complètement la finalité au profit d’intérêts personnels. Cette philosophie à laquelle je tiens est peut-être fragile du point de vue économique mais c’est parce que cela sert à beaucoup que cela a du sens !