Interview de Cendrine Le Locat, animatrice de démarches collaboratives autour du développement durable et de la responsabilité sociétale dans l’enseignement supérieur

, par  Michel Briand , popularité : 8%

Cette interview de Cendrine rend compte de la diffusion de l’écriture et de pratiques collaboratives autour du développement durable et de la responsabilité sociétale dans l’enseignement supérieur et sur le territoire du pays de Brest.

Une démarche qui repose sur une implication de personnes motivées aussi par l’urgence des questions de transition.

Bonjour Cendrine est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

Je suis responsable Développement durable et Responsabilité sociétale d’IMT Atlantique, école fusionnée au 1er janvier 2017 entre Télécom Bretagne et l’Ecole des Mines de Nantes. Sur cette mission, je travaille avec deux autres personnes, l’une située sur le site de Brest et l’autre sur le site de Nantes. [1]

Cette année, je m’implique particulièrement dans l’organisation de la SEDD, Semaine Etudiante du Développement Durable. Elle aura lieu à Brest, du 1er au 7 avril 2019. Ce sera le premier événement de ce genre dans le pays de Brest et pour lequel nous sommes une petite dizaine de partenaires à coopérer ensemble. À cette occasion, nous lançons un site web collaboratif sur le même modèle qu’ESResponsable.org (Enseignement Supérieur Responsable) qui permettra aux acteurs du territoire, qu’ils soient publics ou privés, de donner à voir leurs réalisations concrètes en matière de développement durable et de responsabilité sociétale.

Je suis également membre du conseil d’administration du CIRSES, Collectif pour l’Intégration de la Responsabilité Sociétale et du développement durable dans l’Enseignement Supérieur. À ce titre, j’ai participé à la création du site web collaboratif ESResponsable.org avec Gérald Majou qui est Chargé de mission DD&RS, politiques régionales et vie étudiante à la CGE, Conférence des Grandes Ecoles. Ce site a vocation à donner à voir les pratiques en termes de développement durable et de responsabilité sociétale des universités et des grandes écoles en France. Chaque établissement peut être auteur en contribuant par la production d’articles.

Ce site Ce site est inaccessible pour quelques jours, merci de partenter jusque janvier pour le consulter est inaccessible pour quelques jours, merci de patienter jusque janvier pour le consulter

Et maintenant si tu devais te présenter avec quelques mots clés quels seraient-ils ?

Le mot transmission est important pour moi et le faire ensemble. Parmi les caractéristiques qui me définissent, il y a la persévérance. Et il y a faire sens qui est un fil rouge. J’ai réellement du mal à faire quelque chose dans lequel je ne crois pas.

La coopération n’est pas quelque chose de courant dans notre société, qu’est-ce qui fait dans ta vie personnelle ou professionnelle que tu t’es mise à développer des pratiques coopératives et la coopération ?

Le fait d’avoir travaillé à IMT atlantique avec toi a été un déclencheur [2] et ce serait difficile de ne pas le dire, c’est quand même un point d’entrée.

Ensuite, je suis une personne qui est intimement convaincue que le pouvoir aujourd’hui n’est plus dans la possession, voire la rétention, de l’information. Je suis d’une génération qui a connue l’information comme étant un pouvoir extrêmement fort et notamment quand tu es dans une fonction de direction. A partir du moment où tu te rends compte que l’information n’est plus le pouvoir, cela t’amène à exercer ton métier de manière différente. Tu te poses la question de ta valeur ajoutée en tant que responsable d’une activité, surtout dans le développement durable et la responsabilité sociétale qui par définition est une mission transverse. Je considère qu’elle est plus dans la capacité à mettre en lien les acteurs. C’est par exemple, au niveau d’un territoire, la création de ce site web qui, je l’espère, sera le plus ouvert possible et que l’on veut développer au niveau du pays de Brest avec des personnes qui ne sont pas forcément du même secteur d’activité. Ou c’est aussi, au niveau thématique, la coopération entre des personnes d’une communauté de métier pour prendre l’exemple d’ESResponsable. Comment diffuser des connaissances et des compétences ? Comment faire en sorte que les gens se les approprient ? Comment accompagner les changements de représentations et de comportements ? Ce sont toutes ces questions-là qui relèvent de la coopération dans mes activités.

Et maintenant si tu avais à présenter un ou deux projets coopératifs auxquels tu as participé quels seraient-ils ?

Un site où chacun⋅e peut s’inscrireet participer en rédigeant un article, une actualité ou une pratique respectant la charte éditoriale d’ESResponsable.org. Par défaut, les contenus sont publiés sous une licence Creative Commons qui en permet la réutilisation (CC by sa).

citation de la page d’accueil du site

C’est un site contributif à l’initiative de l’association CIRSES, Collectif pour l’Intégration de la Responsabilité Sociétale et du développement durable dans l’Enseignement Supérieur, qui en est l’animateur. J’ai participé à la création de ce site avec Gérald Majou de la CGE. Nous avons tous les deux rédigé le cahier des charges, fait le choix d’un prestataire [3] et assuré le démarrage. L’objectif initial d’un site collaboratif est atteint dans la mesure où nous sommes plusieurs contributeurs et animateurs. Pour bien assurer le fonctionnement de ce site collaboratif, nous établissons un calendrier annuel qui répartit les permanences entre membres du conseil d’administration pour assurer la validation des articles proposés. La communauté des responsables développement durable se l’approprie de plus en plus.

Il y a une dizaine d’articles publiés par semaine et 10.000 visites par mois sur le site, ce qui assure au site une belle visibilité.

Après, ce qui ce qui est difficile, c’est d’assurer une continuité dans un milieu où il y a des départs et des arrivées fréquents - les responsables DD&RS des établissements bougent pas mal (à la plénière DD&RS de la CGE-CPU (Conférence des Présidents des Universités) de cet automne, nous avons vu qu’il y avait beaucoup de nouveaux référents DD&RS de récemment nommés dans cette fonction ; ce qui en soit est une très bonne chose). Comme l’écriture collaborative n’est pas courante, à chaque fois il faut prendre son bâton de pèlerin pour présenter le site et expliquer comment cela fonctionne.

L’autre frein que nous avons concerne les directions de la communication des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche qui n’ont pas vraiment cette culture du partage de contenus via des flux RSS et des licences libres permettant la réutilisation des contenus. Ces approchent ne sont pas, ou pas suffisamment, connues ou comprises par les fonctions communication. Par ailleurs, les référents DD&RS des établissements sont pris par d’autres aspects de leur mission qu’ils jugent plus importants ou plus prioritaires.

Un autre frein peut être dans la capacité à rédiger : on n’écrit pas de la même façon sur internet que l’on écrit par exemple un article scientifique.

Sinon, nous sommes complètement satisfaits du site contributif. Il participe aussi au dispositif annuel d’autoévaluation DD&RS des établissements de l’ESR. En effet, quand les établissements effectuent leur autoévaluation DD&RS, ils doivent déposer sur le site des fiches pratiques qui illustrent leurs engagements DD&RS. Cela amène donc régulièrement du contenu sur le site.

Le système de moteur de recherche du site permet de bénéficier des expériences des autres établissements. Lorsque l’on veut travailler sur un sujet – comme par exemple la mise en place sur un campus d’un potager en permaculture partagé – en saisissant des mots clés, on arrive à trouver tous les articles publiés qui correspondent à des initiatives de ce type. Cela facilite une mise en réseau où les gens peuvent ensuite se contacter directement s’ils veulent en savoir plus sur comment s’y prendre.

La Semaine Etudiante du Développement Durable à Brest

En décembre 2017, l’UBO, le Clous de Brest, Brest Métropole et IMT Atlantique ont co-organisé à Brest l’opération « Tour de France - Agir ensemble » [4]. C’était la première fois que nous coopérions ensemble pour organiser un événement commun sur le territoire à l’attention des étudiants sur des questions relatives au développement durable. Nous nous sommes rendu compte après cette manifestation que nous avions pris énormément de plaisir à travailler ensemble et que nous avions envie de continuer à agir au niveau du territoire en lien avec les questions du développement durable et de la responsabilité sociétale.

Aussi, nous avons choisi de créer un événement de plus grande ampleur. Il s’agit de la SEDD, Semaine Etudiante du Développement Durable, qui se tiendra sur les campus et en centre-ville de Brest, du 1er au 7 avril 2019. Cet événement s’intégrera dans les SEDD promues par le Refedd [5], Réseau Français des Etudiants pour le Développement Durable.

Forum des projets étudiants développement durable à l’IMT Atlantique, site de Brest

Notre volonté est, qu’en partant de ces quatre acteurs, nous élargissions ce réseau à d’autres acteurs de l’enseignement supérieur du pays de Brest comme l’ENSTA Bretagne, l’ENIB et les lycées Jules Lesven par exemple, ainsi qu’à des acteurs privés comme le Crédit Mutuel Arkéa, Finistère 2.9 by CA ou encore La Poste. C’est parti d’une feuille de route qui a été signée par les représentants des différentes institutions actant ainsi leur engagement dans cet événement. En parallèle, il y a eu aussi l’idée de réaliser un site web collaboratif qui permette de donner à voir ce qui se passe sur le territoire de Brest Métropole [6] à l’initiative d’acteurs publics privés ou associatifs en termes de développement durable et de responsabilité sociétale. Ce site sera inauguré à l’occasion de la Semaine Etudiante du Développement Durable. Il a cependant bien vocation à exister au-delà de cet événement.

La plupart de ces établissements ne sont pas habitués au partage d’informations. Est-ce que ce n’est pas trop difficile de les y amener ?

En fait, le plus important ce sont les personnes. Les personnes avec lesquelles je travaille sur ce projet sont des femmes pour qui les enjeux de pouvoir et le rapport à l’information ne sont pas compliqués. Dans cette expérience que je vis, notamment avec Christine Walid de Brest Métropole, Annie Callac du Clous et Natalia Leclerc de l’UBO, on ne se pose pas de questions vis-à-vis du partage, parce que le développement durable correspond à un enjeu de société et que, si tu n’es pas dans le partage, je ne vois pas comment tu peux travailler là-dedans. Cela fait partie des valeurs.

Ensuite, c’est vrai qu’à l’initiative de ce projet ce sont des femmes. Les relations entre nous sont extrêmement fluides. Quand bien même nous avons des personnalités extrêmement différentes et quand bien même il y en a certaines qui prennent le « lead », il n’y a pas d’enjeu de pouvoir. Les choses se font parce qu’elles doivent être faites.

Le problème par contre dans ce projet, c’est l’implication et donc le temps que l’on peut y mettre. Il diffère selon les personnes et les institutions qui n’en sont pas au même niveau d’appropriation du développement durable et de la responsabilité sociétale. Pour une des personnes, sa direction lui a donné 10 % sont temps pour s’occuper de la démarche développement durable et responsabilité sociétale de son établissement. Dans ces conditions, il n’est pas possible de lui demander de s’impliquer aussi fortement, ni dans l’événement, ni dans le site contributif. Ce n’est pas grave, l’important c’est qu’il y ait un petit groupe qui prenne en charge le projet. Je suis persuadée qu’une fois que l’on commencera vraiment à mettre du contenu sur le site, cela fera boule de neige. Ceux qui ne participent pas aujourd’hui auront alors envie d’y être.

C’est comme dans l’organisation de la Semaine Etudiante du Développement Durable. Nous n’avons pas démarché les partenaires privés. Ils sont venus à nous. C’est la première fois que l’on met en place l’événement. Cela nous prend beaucoup de temps pour structurer notre organisation. L’année prochaine, les supports de communication seront faits, notre organisation interne sera rodée, la programmation aura déjà été faite et l’on pourra capitaliser. Le temps pris pour le démarrage cette année, on pourra le passer à élargir et démarcher autour de nous. Et bien qu’on n’ait pas le temps de le faire cette année, il y a quand même des entreprises privées qui se rapprochent de nous. Si elles mettent de l’argent dans le projet, c’est qu’elles y voient aussi un intérêt pour toucher la population étudiante qui est extrêmement difficile pour elles à toucher sur ces sujets-là.

Qu’est-ce qui dans ces projets et de façon plus générale te semble être un frein la coopération ?

Tout dépend par quelle entrée ils ont entendu parler de la coopération ? S’ils perçoivent la coopération comme une démarche sociale ou culturelle liée à un certain milieu, il se peut que cela n’attire pas beaucoup les acteurs privés tels nos partenaires (banques coopératives). La perception et la représentation qu’ils peuvent en avoir peut-être un frein.

Un autre frein peut-être le temps : les gens se disent que cela va leur prendre un temps fou, s’interrogent sur l’intérêt d’aller publier des contenus mis en partage.... Par exemple, si j’ai moi-même un site Internet en tant qu’individu, institution ou association, pourquoi j’irais publier ailleurs en plus ? Ils peuvent ne pas comprendre l’intérêt qu’il y a.

Un autre frein, une fois compris l’intérêt, c’est comment faire ? Quand tu leur expliques qu’il y a des moyens techniques tels les flux RSS qui permettent de le faire sans prendre de temps, il y a une espèce de monde qui s’ouvre à eux. Passer à la réalisation peut être compliqué parce qu’ils ne savent pas comment faire, comment utiliser les flux ? Comment mettre les bons mots clés pour récupérer les flux ?...

Un frein est aussi la peur d’écrire et pour l’entreprise privée le respect de procédure de validation où tu ne publies pas ce que tu veux.

Et aussi faire comprendre que l’on n’est pas là pour faire de la publicité, mais pour apporter du contenu informationnel.

Et qu’est-ce qui te semble facilitateur ?

Déjà de démarrer un projet avec plusieurs personnes. Dans ce projet de site contributif sur le développement durable, cela faisait un moment qu’on on en parlait ensemble et je te disais que je ne me sentais pas porter cela toute seule. Et justement j’ai pu le faire maintenant parce qu’il y a des gens aujourd’hui qui sont réceptifs à ce message et qui ne l’étaient pas auparavant. C’est une question de maturité en fait. C’est aussi ce qui assure la pérennité parce que cela repose sur plusieurs acteurs. C’est un facteur de réussite de démarrer un projet à plusieurs acteurs impliqués dans l’animation du projet. Il est important qu’il y ait une communauté derrière et que cela ne repose pas uniquement sur une ou deux personnes, mêmes s’il y a en toujours quelques-unes qui sont plus actives que d’autres.

Est-ce qu’il y a des lectures ou des personnes qui t’ont inspirée sur ce champ de la coopération ?

Il y a toi et Jean-Michel Cornu avec son livre sur la coopération.

[1A côté de son activité professionnelle, Cendrine enseigne le yoga (Hatha et Vinyasa) et la méditation. Elle suit actuellement la formation d’Instructeur MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction ou Réduction du Stress Basée sur la Pleine Conscience) de l’Institut Oasis, centre de formation professionnelle du Center For Mindfulness in Medecine, Health Care, and Society ou Centre pour la Pleine Conscience dans la Médecine de l’Université du Massachussetts aux Etats-Unis. Elle est co-fondatrice de l’association Lezateliers du Yoga & de la Méditation : www.lezateliersyogameditation.fr.

[2NdR : en parallèle de mon implication dans une démarche contributive sur Brest (voir « Premier pas vers une gouvernance contributive »), j’étais responsable en formation d’ingénieur à l’IMT Atlantique où j’ai essayé de favoriser la coopération et de développer des démarches coopératives (voir « La coopération, fil conducteur des années à Télécom Bretagne - IMT Atlantique »).

[3Bruno Bergot qui est aussi le développeur d’Innovation Pédagogique, site contributif sur les initiatives et innovations pédagogiques dans l’enseignement supérieur francophone initié par André Guyomar et Michel Briand à l’IMT Atlantique et dont ce site est fortement inspiré dans ses fonctionnalités, mais avec une différence importante : ESResponsableest porté par une association représentative des responsables DD&RS des établissements d’enseignement supérieur.

[4Collectivités, universités, grandes écoles et Crous mobilisent étudiants et personnels pour des campus durables dans des villes durables : Le Tour de France - Agir Ensemble est une opération nationale pilotée par l’AVUF en partenariat avec l’Ademee, la MGEN, la CPU, la CGE, les Crous et la Caisse des Dépôts pour stimuler des coopérations territoriales positives face aux enjeux de la transition énergétique et écologique.

[5Le REFEDDest le REseau Français des Etudiants pour le Développement Durable. C’est un réseau d’associations étudiantes qui mènent des projets sur le développement durable tels que l’alimentation, la biodiversité, le climat, les déchets, etc. Le REFEDD est une association de loi 1901. Organisée par le REFEDD depuis 2015, la Semaine Etudiante du Développement Durable (SEDD) est la déclinaison, dans les campus, de la Semaine Européenne du Développement Durable. Mise en place chaque première semaine d’avril dans toute la France, la SEDD est un temps privilégié de rencontres entre les étudiant.e.s et acteurs.trices du développement durable engagé.e.s pour des campus et une société plus durables

[6La mise en œuvre d’un site collaboratif s’inscrit dans la dynamique initiée par a-brest.net en 2003 et qui a vu la réalisation à l’initiative ou en partenariat avec la collectivité d’une dizaine de sites contributifs thématiques, ouverts en écriture aux acteurs du sujet qu’ils soient publics associatifs privés ou simplement groupe d’individus.