Interview de Jean Marie Gilliot, la pédagogie ouverte en formation d’ingénieur « il est important d’essayer tous les vecteurs de partage possibles. »

, par  Michel Briand , popularité : 17%

Du blog Techniques innovantes pour l’enseignement supérieur, aux pratiques pédagogiques ouvertes, Jean Marie Gilliot relate et met en acte des pratiques collaboratives dans la formation et en recherche. Une interview qui vient à point, la veille du colloque 2019 de "Questions de pédagogies pour l’enseignement supérieur" sur le thème de « (Faire) coopérer pour (faire) apprendre ?" dont les actes (pdf 1715 pages) ont été publiés en amont pour favoriser et les échanges et sous une licence qui en permet la réutilisation.

Bonjour Jean Marie est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Jean-Marie Gilliot, je suis enseignant chercheur, maître de conférences en informatique à l’IMT atlantique [1]. J’ai des activités d’enseignement autour de la pédagogie par projet, j’essaie d’avoir des cours qui soient le plus participatif possible et ses envies en termes de pédagogie m’ont amené à développer des activités de recherche en lien avec l’éducation. Je pose mes réflexions, pour les partager, sur un blog « Techniques innovantes pour l’enseignement supérieur » [2].

Ce blog se veut francophone. Ses thématiques sont

  • des réflexions sur l’évolution de la formation des ingénieur
  • des réflexions sur l’évolution de l’apprentissage et de ses environnements techniques,
  • des exemples ou retours d’expérience sur des utilisations pédagogiques autour du web2.0
  • des informations pédagogiques pour les enseignants, des annonces de manifestations ou des retour de journées auxquelles j’ai assisté
  • diverses réflexions sur l’évolution des ressources éducatives, notamment libres, et souvent dans un contexte universitaire

 
extrait de la présentation du blog

Si tu avais pour tout ce qui touche à la coopération, quelques mots clés pour te définir quels seraient-ils ?

Ce qui m’intéresse ce sont les équipes pédagogiques, les activités des étudiants. C’est aussi la question de l’ouverture et le partage d’expériences.

Travailler en équipe pédagogique est pour moi quelque chose de très important, que ce soit avec des collègues en interne ou en externe parce que cela permet de dépasser son propre cadre et de se remettre en question, et ainsi de remettre en question les enseignements et d’avancer, d’avoir des points d’échange, de réflexion qu’il est difficile d’avoir tout seul, parce que le professeur est souvent tout seul.
Un étudiant va s’engager, apprendre, développer des processus d’apprentissage dans l’action et pas dans l’écoute, même active. Il y a nécessité de trouver des modalités qui l’amènent à se positionner, à contribuer, à produire des choses, souvent avec le numérique.

L’ouverture est quelque chose que l’on retrouve aujourd’hui à tous les niveaux parmi les personnes qui s’impliquent dans l’innovation pédagogique ou qui font de la recherche dans ce domaine. Il y a la nécessité de croiser des expériences, d’aller au-delà de son établissement. Il y a beaucoup d’intérêt à partager, à écouter et à échanger dans le cadre le plus large possible. Cela rejoint quelque chose que tu as créé, qui est le réseau prof à Brest.

C’est l’idée que l’on peut discuter avec des gens qui sont de domaines différents, de niveaux différents, d’approches différentes et que l’on en retire des éclairages, que cela permet de bousculer ses convictions préalables.

Tu as parlé plusieurs fois de partage est-ce que cela ne serait pas aussi un de tes mots clés ?

Oui, de manière évidente, même si je n’avais pas là explicité, le partage est indispensable. Les chercheurs partagent, ils diffusent leurs connaissances dans des conférences, c’est une forme de partage mais qui a ses limites. Un des intérêts du partage quand tu le travailles de manière plus ouverte, c’est d’aller au-delà des communautés qui sont préétablies, un cran plus loin. Les communautés scientifiques et les communautés d’enseignants autour d’une thématique, d’une discipline sont importantes, cela permet de formaliser des choses, qui peuvent ensuite être remises en question dans un cadre plus large. Il y à la fois ce besoin de formalisation et de mise en question.

Comment en es-tu venu à t’ impliquer dans des modes de travail coopératif ?

En tant qu’informaticien, j’ai été sensibilisé au logiciel libre dans les années quelque 90. C’est quelque chose qui a posé des premiers éléments de partage, vus dans un cadre particulier mais qui sensibilisent au partage. Dans les mêmes années, il y a eu la création du Web où on pouvait avoir des pages personnelles grâce aux sites institutionnels qui ne contrôlaient pas du tout cela et où tout le monde pouvait poser ses cours. Et notamment en tant qu’enseignant des systèmes d’exploitation comme Linux il paraît logique que tes cours soient aussi ouverts que les systèmes que tu enseignes !

Puis, il y a des déclencheurs en termes d’équipe, je parlais tout à l’heure d’équipes pédagogiques. J’ai eu une première expérience de création de filières d’enseignement à la fin des années 90, début des années 2000 dans un mode de travail coopératif.

Ensuite je suis arrivé à Télécom Bretagne au moment d’une réforme, avec la création de tout un pan d’enseignement autour de la pédagogie par projet. C’était un moment où tout le monde se posait des questions, où on s’est retrouvé entre enseignants de toutes les composantes de l’école avec à la fois plein de questions, plein d’envies, un appui des enseignants de Louvain-la-Neuve qui nous ont bien accompagné. Tout cela a permis d’entrer dans une logique de construction coopérative, qui pour moi était un vrai appel d’air en arrivant ici. J’ai répondu présent à l’époque et rentrer dans cette logique a été un véritable accélérateur pour m’intégrer à Télécom Bretagne.

Est-ce que tu peux te présenter un ou deux projets coopératifs auxquels le tu as participé ?

Le MOOC ITYPA « Internet tout y est pour apprendre » [3]

C’est ma plus belle expérience. On est en 2008-2009 et des personnes au Canada font un objet qui s’appelle un MOOC connectiviste, qui disent que tout apprentissage est contextuel et que la connaissance naît de l’échange et de la collaboration. On regarde comment faire cela chez soi ici en France et en 2011 se constitue une équipe, via Twitter au départ, pour travailler sur un premier projet de MOOC qui était « Internet tout y est pour apprendre » avec l’idée de poser la question de « comment on apprend avec Internet » à toutes les personnes qui voudraient s’y inscrire, comment on utilise tous ces outils là pour construire des idées, pour collaborer et pour construire un corpus de connaissances. Cette initiative a fait le buzz, c’était très sympathique de rencontrer plein de gens. Dans une première étape on a construit un script à quatre [4] avant d’être rejoints par un millier de personnes venues pour échanger, contribuer et qui à la fin vous disent : « on fait la synthèse et on continue derrière vous ». Une autre chose que j’ai beaucoup apprécié au travers de ce cours là, cela a été de pouvoir le jouer une fois, deux fois et à la troisième fois de le voir repris par d’autres et qui le font vivre à leur manière ; donc un projet qui évolue et qui continue sans nous.

Dans un projet coopératif comme cela qu’est-ce qui a été facilitateur de la coopération ?

Une écoute, une bienveillance, une envie de faire ensemble un objectif qui était à la fois clair et ouvert.

Et en termes de difficultés ?

Des difficultés institutionnelles. Une incompréhension totale sur ce que l’on faisait. J’avais fait une petite demande d’aide au niveau de mon institution et on m’a dit « non c’est compliqué on ne comprend pas tout ». Du coup on fait cela à la marche sur le temps « libre », en dehors des activités d’enseignement et de recherche classiques, sur un temps non intégré et non reconnu.

Et puis à un moment donné les gens comprennent, et là tout d’un coup, il faut faire des articles de journaux, il faut faire de la publicité sur cet objet là parce qu’on est arrivé au moment juste où les MOOC démarraient en France [5] et où ce mot est devenu un buzz.

On l’avait réalisé hors institutions avec des personnes de plusieurs structures, mais au moment de la bascule d’une activité de temps « libre » à un événement médiatique, chaque établissement a cherché à tirer un peu la couverture à lui. On avait quatre personnes d’établissements voir d’horizons différents et c’est une difficulté d’expliquer ce cadre à un journaliste qui souhaite une formule de type « une personne, un événement, un lieu, une date ». Cela ne rentrait pas dans le cadre.

Est-ce que tu aurais un second projet à présenter ?

J’ai essayé de documenter plein de projets réalisés avec mes étudiants parce que j’aime bien faire et changer.

Il y a eu la réalisation de supports de cours multi-langues sur un wiki par les étudiants, parce que les étudiants voulaient leur support propre et que ce public était multi langues.

Il y a eu la réalisation d’un « non cours » sur les mobiles, où l’on prenait une demi-journée à présenter les outils pour développer une application mobile. On disait à nos étudiants : « Vous ne savez pas ce que c’est une application mobile, c’est normal, donnez-vous un objectif de développement mobile est dans une semaine montrez-nous ce que vous avez fait ». Les étudiants apprenaient ce dont ils avaient besoin au fur et à mesure qu’ils développaient leur projet et au bout d’une semaine aucun étudiant n’arrivait sans projet qui tournait !

On l’a mis en œuvre trois ou quatre fois. Dans un tel enseignement (je n’ose pas dire un cours) il y a vraiment cette idée « on se projette, on fait en équipe » et les enseignants sont en soutien et non à décliner la méthode pour développer une application mobile. Ils ont un projet qu’ils ont choisi et l’arrivée ils ont tous appris à développer, à utiliser bibliothèque d’applications. Cela permet d’inverser la logique déductive classique. On ne part pas de ce qu’il faut savoir avant, où l’on déroule les contenus au fur et à mesure ; on apprend en marchant mais avec un objectif.

J’ai aussi mis en place l’année dernière une classe renversée sur le Web [6], où ce sont les étudiants qui produisent le programme, l’évaluation et le contenu. Pour être en cohérence, ce contenu est produit sous forme de site Web, avec des outils de production Web, et le source est également publié sous forme de dépôt sur le Web.

Cela m’a d’ailleurs permis de prendre un peu plus conscience d’une limite courante dans le mouvement des ressources libres. Celles-ci sont souvent vues comme un objet de communication, de diffusion. La question du dépôt de diffusion comme celui de opencourseware est régulièrement discuté. Mais même avec des licences qui permettent la réutilisation et l’évolution, ces ressources sont généralement fermées techniquement au sens qu’il est très difficile de les modifier, de reprendre une ressource libre et de la réadapter, ce qui est tout de même étonnant. Il y a un vrai problème de vision de ce qu’est une ressource ouverte. La ressource libre est ouverte et disponible dans une vision orientée diffusion institutionnelle mais pas orientée réutilisation et évolution, au sens ou son « code source » n’est pas systématiquement publiée.

Si on reprend les outils de développement d’un site Web, la mise à disposition du code source et donc l’opportunité de le modifier devient naturelle. Les étudiants peuvent modifier des choses qui ont déjà été faites. On retrouve aussi cela dans Wikipédia.

Et dans ce volet « étudiant producteurs de ressources » qu’est-ce qui te semble facilitateur ?

Déjà de choisir le contenu qu’ils vont produire dans le cadre d’un cours qu’ils ont envie de faire, sur un sujet qui les intéresse. Là aussi, l’idée n’est pas de dire voilà le corpus exact qu’il faut développer, mais par rapport à une thématique leur laisser proposer les sujets du cours. Cela aide, parce qu’alors les étudiants s’investissent davantage.

Ce qui est facilitateur aussi c’est la publication [7]. Savoir que ce va être lu, être partagé avec les autres, que cela servir de support aux autres.

Et en difficultés ?

Clairement pour les étudiants, de se projeter, d’être au clair sur ce que c’est qu’un bon support, parce que leur vision des cours est biaisée par leur expérience. Là aussi on a un problème de maturité sur ce qu’est un cours que j’ai envie de passer à quelqu’un d’autre. Un étudiant va avoir tendance à faire un cours académique plutôt que le tuto Web qu’il utilise par ailleurs à travers une vidéo par exemple à la fois parce que c’est plus compliqué et parce que c’est moins chic.

La coopération entre enseignants de différents établissements n’est pas très courante. Qu’est-ce qui te semblerait faisable pour la faciliter ?

C’est compliqué parce que lorsque l’on travaille sur des MOOC ou sur des objets visibles de ce genre il y une pression de l’institution qui veut qu’elle soit visible, qui voit cela comme un objet de marque, ce qui constitue une vraie limitation. La reconnaissance de l’implication dans les projets inter institutions, inter établissements serait facilitatrice. On peut le faire dans une fédération d’établissements comme à l’IMT avec un MOOC qui soit de l’IMT et pas de tel ou tel établissement. Un deuxième point d’entrée est celui de personnes qui se retrouvent autour d’une discipline mais cela reste difficile car chacun est persuadé d’avoir une approche originale, et adaptée à son public.

Mais en dehors des MOOC qu’est-ce qui fait qu’alors que des enseignements analogues sont développés dans beaucoup d’établissements, il y ait si peu de coopération entre équipes pédagogiques de différents établissements ?

L’enseignant est d’abord un artisan avec sa propre intention pédagogique, avec une autre difficulté celle de temporalités différentes ici un cours de 12 heures, là un cours de 20 heures. La vision modulaire est très compliquée. Et c’est souvent aussi dur de reprendre un cours qui ne va pas me convenir parfaitement plutôt que de refaire moi même le cours ?

Est-ce qu’il n’y a pas aussi une histoire culturelle ou le fait de faire tout seul est valorisé ? Sans par ailleurs une incitation à partager ?

C’est encore le contexte institutionnel où il faut rendre visible la marque et les professeurs dans l’enseignement supérieur font partie de la marque. Les MOOC ont eu cette qualité de rendre visible ce que faisaient les autres, mais dans un cadre qui devient de plus en plus contrôlé. Et, effet de bord, faire un livre sur un cours devient moins naturel aujourd’hui puisqu’il a moins de diffusion. La valorisation des supports, de les partager, devient moins valorisante. C’est une vraie difficulté.

D’autant que la réutilisation de cours existant reste difficile. Une collègue me disait refaire son cours différemment pour chaque public d’étudiants. Maîtriser et adapter le contenu est compliqué.

Rendre visible un cours demande un effort supplémentaire qui n’est pas valorisé et qui n’apporte pas d’intérêt direct à l’enseignant sauf à vouloir partager et avoir envie d’aller au-delà de sa tâche d’enseignant dans l’établissement ?

Tu participes aussi au réseau coopératif prof à Brest et le sens de la participation à ce réseau ?

Je passe trop peu temps à y participer. À Brest, et c’est sûrement vrai partout ailleurs, il y a une richesse d’expériences extraordinaire avec plein de choses qui se font dans tous les contextes. On le voit quand on se croise entre enseignants du supérieur. On le voit aux réunions de prof à Brest. On le voit quand on organise la session du Forum des usages coopératifs sur l’éducation [8] ou à chaque fois on rencontre des personnes qui viennent raconter des choses qui sont toutes plus décoiffantes les unes que les autres. On le voit quand on se sollicite les collègues en interne qui tout en n’ayant « rien à dire » ont beaucoup de choses intéressantes à partager.

Il y a plein de choses à partager mais on a du mal à mettre en place des vecteurs de partage. Aussi il est important d’essayer tous les vecteurs de partage possibles.
Pour faciliter les échanges il est important d’aller voir les gens comme cela été fait à Telecom Bretagne pour initier le blog Innovation Pédagogique. Il y a beaucoup plus de personnes qui ont des expériences à raconter dès lors qu’on les sollicite. Ce matin il y avait une réunion sur la classe inversée il y avait beaucoup de gens qui étaient là que l’on ne voit pas toujours et qui ont des choses à dire. Nous avons besoin d’échanger.

L’idée de prof à Brest c’est de faciliter les contacts, de proposer une régularité de rencontres pour que plus de gens soient au courant et y participent pour découvrir, prendre, échanger et commencer à prendre la parole. Pour construire un réseau, il faut proposer de la régularité.

Sur l’enseignement supérieur on se connaît entre nous sur un site territorial donné, on essaie de se passer l’information, de se proposer des sujets il y a toujours une envie et un plaisir de se rencontrer. La difficulté c’est qu’on est tous débordés par les activités de tous les jours et du coup on a du mal à mettre de l’énergie en plus dans cette mise en réseau.

Et on organise tout de même des choses comme le prochain colloque Question de Pédagogie pour l’Enseignement Supérieur [9] qui va se dérouler à Brest en juin et qui est co-organisé par plusieurs établissements de l’enseignement supérieur Brestois.

En termes de personnes, de lectures lectures qui t’ont influencé sur la coopération est-ce que tu aurais des références à citer ?

Il y a bien sur Jean-Michel Cornu sur la coopération qui l’explique bien, il y a toiqui la vis bien.

Côté enseignement il y a plein de gens qui nous parlent de coopération les Freinet, Montessori.

Je suis assez sensible à ce que fait Georges Siemens qui est le « Mr MOOC connectiviste » qui a une vraie vision de parcours et de contextualisation de l’apprentissage.