Le rôle du techno-pédagogue dans un « Riposte créative », espace en coopération ouverte

, par  Florent Merlet, Laurent Marseault, Michel Briand , popularité : 10%

Dans le fonctionnement d’un projet coopératif, les contraintes du travail à distance ont amplifié la place des technologies. Encore faut-il que ces technologies soient au service des humains et du projet. A la lumière de l’expérience des Ripostes Créative et de projets en coopération ouverte, voici dans un entretien avec Laurent Marseault et Florent Merlet une présentation du rôle du techno-pédagoque dans une techno-socio-structure pour l’appropriation d’outils conviviaux qui augmentent l’efficience sans réduire l’autonomie, ne génèrent ni maître ni esclaves, et renforcent le pouvoir d’agir avec la proposition d’un réseau d’entraide entre techno-pédagoques.

Le terme « Riposte créative » est utilisé en référence à notre expérience de Riposte Créative Territoriale initié avec le CNFPT et prolongée dans un archipel de Riposte ou d’espaces comme l’agora des archipels ou plus largement d’espaces en coopération ouvertes partageant des choix d’une écriture ouverte, de contenus réutilisables (par des licences CC by sa) et d’une porosité rendue possible par l’outil.

Pour une découverte de la démarche Riposte Créative territoriale, voir le film "Silence de l’innovation" réalisé par Thomas Troadec (54 mn).

avec Laurent Marseault

Peux tu présenter les 3 notions d’outil convivial , d’animateur et de techno pédagogue dans un espace collaboratif en coopération ouverte ?

Peut-être en préambule expliquer pourquoi on associe ces 3 notions dans un projet coopératif. Si on parle de la partie technique et de la partie animation, ces éléments reliés forment une techno-socio-structure qui va permettre au groupe de fonctionner, en présence, à distance, avec des outils adaptés, des techniques d’animation. Bien souvent, ce que l’on peut voir dans des groupes, c’est que les techno-socio-structures sont confisquées parce que l’on a déjà choisi telle technologie qui est pensée pour le groupe et non par le groupe. Ceci fait qu’au bout d’un moment les outils et les process associés deviennent des outils qui ne correspondent plus au niveau de maturité du groupe, des outils sur lesquels le groupe ne peut plus interagir. Cela peut-être tout à fait préjudiciable, comme on peut le rencontrer dans les outils mis en place par les directions informatiques de grosses institutions ou de collectivités. Une des grosses souffrances des salariés au travail, c’est de

Les coopérations ouvertes thème du 8éme Forum des usages coopératifs à Brest du 3 au 6 juillet 2018. plus avoir la main sur les outils qu’ils utilisent pour exercer l’art de leur métier.

La notion de techno-socio-structure :

Ce sont tous les éléments techniques, les éléments qui sont du registre des accords de groupe, de l’animation, tous les éléments informatiques, numériques et humains qui permettent à un groupe de bien fonctionner. Dans des groupes qui fonctionnaient uniquement en présence, on était dans la socio-structure, avec des rôles, un mode de gouvernance. Maintenant avec la crise du Covid, nous avons des groupes qui sont uniquement à distance, en plein dans l’usage des technologies avec parfois des groupes qui pensent qu’en ne mettant que du techno cela fonctionnera. Insister sur la techno-socio-structure permet de montrer les liens féconds qui apparaissent quand on relie ces notions.

La notion d’outil convivial

la notion d’outil convivial est une notion chapeau qui nous est proposée par Ivan Illitch, sociologue des années70 qui a écrit notamment « La convivialité » qui nous explique que l’on s’est trompé dans le cahier des charges des outils, avec des humains qui sont, dès lors, devenus esclaves des outils alors que les outils étaient censés faciliter le travail des humains et être émancipateurs ; il a travaillé sur un certain nombre de conditions pour que les outils soient conviviaux. Lorsqu’il parle d’outils dans les années 70, il ne s’agit pas d’outils au sens numériques mais d’outils au sens organisation du terme. On peut ainsi dire qu’un vélo est un outil ou qu’un système éducatif est un outil. Pour Ivan Illitch un outil convivial doit respecter 3 règles fondamentales :

 La première est que ces outils mis en place doivent augmenter l’efficience du groupe sans impacter l’autonomie individuelle. Si on met en place de l’organisation, des outils, des techniques d’animation, il faut que cela permette au groupe d’être plus efficient, c’est à dire arriver au résultat en consommant moins d’énergie, mais sans impacter l’autonomie individuelle, en permettant aux humains de garder une vision globale sur l’intégralité du système. On pourrait par exemple mettre des humains à faire du travail à la chaîne, on augmenterait l’efficience ; mais chaque maillon de la chaîne aurait perdu une maîtrise de l’entièreté du processus.

 La seconde règle, c’est que les outils ne doivent générer ni maître ni esclave. Lorsque l’on met en place des modes opératoires, des outils numériques, bien souvent on va se retrouver avec un webmaster (« maître du web ») qui va avoir de super pouvoirs, qui aura le droit de créer de nouvelles rubriques, uniquement lui aura le doit d’écrire, de valider un contenu. Fabriquer un système qui ne génère ni maître ni esclave, c’est travailler à la fois l’horizontalité et le fait que cette techno-socio-structure soit co-portée par l’intégralité des personnes et que quiconque puisse à n’importe quel moment interagir avec le système.

 La troisième règle est que ces outils proposés, avec le mot outil au sens le plus large du terme, doivent augmenter le pouvoir d’agir. Ce qui rejoint la notion d’encapacitation. Si une personne fait l’expérience d’un outil au sein d’un collectif, il faut que cela puisse lui donner des idées, lui donner de nouveaux pouvoirs. Que l’expérience acquise au sein du projet puisse être transposée ailleurs. D’où l’importance que les outils soient libres (au sens librement réutilisables) et que les humains soient libres. Par exemple si j’utilise un YesWiki [1] dans un Riposte et que je trouve cet outil pertinent pour le projet, il faut que je puisse l’utiliser à l’extérieur, dans un club de tai-chi ou dans ma collectivité. A l’inverse, si je fais l’expérience de l’holacratie ou de Jalios dans un projet, comme c’est une méthode qui est copyrightée, je ne peux pas l’utiliser dans un autre contexte.

Lorsque l’on va mettre en place des systèmes, des organisations, sans être dans la perfection de cette trilogie, le fait de garder cela dans un petit coin de la tête permet de les interroger : est ce que l’on a pris en compte le partage des pouvoirs ? est ce que les personnes sont dans des logiques de formation ? des logiques d’éducation populaire ?

« Une politique conviviale s’attacherait d’abord à définir ce qu’il est impossible d’obtenir soi-même quand on bâtit sa maison. En conséquence, elle assumerait à chacun l’accès à un minimum d’espace, d’eau, d’éléments préfabriqués, d’outils conviviaux allant de la perceuse au monte-charge, et, probablement aussi, l’accès à un minimum de crédit »1.

Illich définit trois critères indispensables pour qu’une instrumentation ou une institution soit considérée comme juste ou conviviale :

 elle ne doit pas dégrader l’autonomie personnelle en se rendant indispensable ;
 elle ne suscite ni esclave, ni maître ;
 elle élargit le rayon d’action personnel.

Critères de convivialité dans l’article de wikipedia

L’articulation entre animateur et techno-pédagoque :

Pour mettre en place des techno-socio-structure, on voit très clairement apparaître le besoin d’une animation avec deux rôles qui émergent.

Une fonction d’animateur, celle de la personne qui va aider à caler les règles, à définir les objectifs, aider le groupe à avancer, à être productif, à grandir en maturité.

Mais ce que l’on voit de plus en plus c’est que les groupes n’ont pas la capacité à être en permanence autour d’une table pour travailler ou partager un temps convivial. Très souvent il va falloir travailler à distance, particulièrement dans le contexte de crise de la covid. La dynamique que l’on veut pouvoir impulser ou que l’on veut faire perdurer va se passer à distance, où l’on va avoir besoin d’outils numériques ; d’où l’intérêt d’aller solliciter le second métier celui de techno-pédagogue ; c’est à dire de personnes qui sont à l’articulation de la technique et de la pédagogie. Ce sont des personnes qui sont capables de repérer des outils et de les mettre au service de la communauté, au service de l’animation, et de ne pas choisir un outil qui encapsule le groupe dans un mode opératoire qui n’est pas le sien.

Ces deux rôles doivent être complices pour qu’à la fois l’animateur connaisse un petit peu ce que l’on peut faire techniquement et lui éviter de penser des dispositifs d’animation qui soient complètement impossibles à mettre en œuvre mais soit aussi à l’écoute de ce que permet le numérique. Et il y a aussi besoin d’une écoute du techno-pédagogue pour comprendre la logique de l’animation et la traduire par de la technique en se débrouillant pour la fluidifier pour que le numérique se mette au service de l’animation et aussi être en capacité de faire des propositions ; il y a un travail de pédagogie qui parfois n’est pas le plus grand fort des techniciens ou des « geek ».

D’où l’intérêt d’afficher ce rôle un peu particulier, qui n’est pas celui d’un informaticien mais d’une personne qui à la fois maîtrise les outils et fait preuve d’une capacité d’écoute et de pédagogie, un chaînon manquant assez rare aujourd’hui.

Peux tu préciser les fonctions du techno-pédagogue dans un espace collaboratif ouvert tel les « Riposte reative » ?

Un techno-pédagogue est d’abord quelqu’un qui fait de la veille sur toutes les possibilités qu’offre le numérique avec aujourd’hui un fourmillement d’outils pour faire de la visio, de l’écriture collaborative... Il faut que ce soit quelqu’un qui ait un sac à dos rempli de plein de petits outils utilisables en fonction des différents usage que l’on souhaitera outiller dans le groupe. Il y a donc ce travail de veille, de test, d’une suffisamment bonne connaissance des outils pour pouvoir les proposer en fonction du contexte dans lequel l’outil devra être déployé. Si je dois déployer un outil dans une collectivité territoriale qui est verrouillée par une DSI, il ne faudra pas choisir le même outil que dans une petite association. Et si je dois travailler dans un collectif où il y a , à la fois des personnes de collectivité et des associatifs, il va falloir proposer et tester l’outil qui conviendra au mieux au processus.

Deuxième élément : ne surtout pas devancer les besoins du groupe. Vraiment être en attention par rapport à ce dont le groupe aura besoin, voire même parfois surjouer le fait que les outils proposés soient un cran de moins fonctionnels par rapport aux besoins du groupe. Cela donne l’occasion au groupe ou à l’animateur de formuler lui-même ses besoins. Cela permet au groupe de maturer les usages qui ont besoin d’être outillés. Ce n’est pas du tout évident parce que, lorsque l’on a un peu l’habitude, on sait que dans un groupe il y aura besoin d’un trombinoscope, d’un annuaire, d’un porte document, et on pourrait facilement installer l’outil tip top. Mais les bons outils sont les outils fabriqués par le groupe et qui correspondent au degré de maturité du groupe. Le rôle du techno-pédagogue c’est d’avoir tout cela dans le sac à dos et de les activer, de les faire monter en puissance au fur et à mesure que le groupe en aura besoin.

Au démarrage d’un riposte :

A travers la mise en place d’une dizaine de sites "Riposte Créative" en coopération ouverte nous avons ritualisé une démarche d’apprendre en faisant. Partant d’un espace wiki vide les participant.e.s sont invité.e.s à se présenter, une écriture par fiche facile d’accès mais qui est déjà une écriture publique et non au sein d’un espace fermé. Le second exercice est l’aspiration d’une base de de données issue d’un autre riposte pour créer dans l’espace du groupe une base de données "ressource" ou "initiative". En quelques minutes la base est créée en écran partagé ; Sans vouloir en faire un savoir partagé cela montre que ce n’est pas très compliqué et surtout directement utilisable. Pour cela les participants sont répartis par groupe de deux pour remplir par interview croisée une fiche ressource. En un quart d’heure, au retour du groupe la base contient autant de fiches que de participants et dans la cas d’une fiche initiative localisées sur la carte associée au groupe !

Ces petites expériences irréversibles de coopération sont un des deux piliers (à côté d’apports sur la coopération ouverte dans un groupe) de la formation action "Créer et animer un Riposte Creative" que nous avons récemment mis en oeuvre pour le département de la Gironde avec le CNFPT. Comme tous les autres contenus en coopération ouverte ce descriptif est librement réutilisable (cc by sa).

Le faire au début pour le groupe, puis le faire devant le groupe et puis le faire avec le groupe et puis ensuite se débrouiller pour que le groupe puisse le faire lui-même.

Il y a là un travail d’"égo mesuré" lorsque l’on se retrouve le maître des clés, avec un nouveau lieu de pouvoir de l’organisation. Une des tâches du techno-pédagogue est de transférer ces compétences acquises et ce pouvoir pour que le groupe puisse se l’approprier et faire évoluer lui-même son propre processus. C’est quelque chose d’intéressant qui demande une certaine finesse.

Le troisième élément est plus méta qui est souvent un impensé dans un groupe naissant. Un groupe qui travaille va petit à petit se trouver en contact avec d’autres groupes, on parle souvent de logique d’archipel [2]. Il est assez naturel qu’un groupe qui commence à travailler soit plutôt centré sur lui, avec assez peu de porosité. Par contre un groupe qui va grandir va davantage échanger, comme par exemple les projets Riposte qui, petit à petit, sont de plus en plus en liens les unes avec les autres. Ce sont des choses que le techno-pédagogue doit aider à anticiper : se débrouiller pour que les outils mis en place soient des outils qui ne favorisent pas l’enclosure mais soient au contraire des outils qui favorisent la porosité, des outils qui permettent des flux entrants numériques et des flux sortants numériques. C’est un travail de vigilance à avoir dès le début du projet, l’animateur n’aura pas cette conscience là ; le groupe n’aura pas cette conscience là ; par contre il faut absolument que le techno-pédagogue l’ait pour que l’on puisse par exemple connecte un Riposte avec d’autres Riposte, le connecter avec Transiscope, avec un blog. On ne dit pas que ce projet sera connecté avec d’autres projets mais il ne faut pas que les choix techniques enclosent le projet parce que l’on n’aurait pas veillé à cette porosité.

Voilà les 3 notions, un travail plutôt individuel, un travail d’accompagnement au niveau du groupe et du processus avec un vrai transfert de compétences, un travail de formation et un troisième niveau, plus en anticipation : comment se débrouiller pour que ces outils permettent de continuer à faire du web au sens lien entre personnes et projets !

Quels sont les points d’attention pour une personne qui joue ce rôle ?

Le premier point d’attention est de comprendre que chaque groupe doit passer par ses propres étapes. Je me rappelle d’une techno-pédagogue qui avait acquis de l’expérience dans un projet et qui, quand elle est passée dans un autre groupe, a repris d’emblée tous les outils du groupe précédent. Elle s’est alors aperçue qu’elle avait complètement noyé les gens. Toutes les fonctionnalités potentiellement utiles étaient activées, mais le groupe étant débutant s’est trouvé complètement dispersé. Ce n’est pas parce que quelque chose marche dans un groupe qu’il devrait marcher dans un autre,la notion d’étape, de processus par lesquels passent un groupe est importante. Bien sur il y a un certain nombre d’invariants dans les groupes mais il y a aussi de nombreuses singularités.

L’autre point d’attention est celui de jardinage des espaces qui sont fabriqués. On a tendance à rajouter en permanence des pages, des rubriques, des fonctionnalités, des outils. Si on ne prend pas le temps de réorganiser, de retravailler à l’ergonomie, les gens vont être complètement perdus et seules les personnes qui ont suivi le projet depuis le début s’y retrouveront. On pourra alors imaginer plusieurs entrées lorsque l’on a des projets qui sont un peu matures, un peu complexes :

  • une entrée avec un aiguillage vers toutes les pages pour ceux qui sont dans le projet depuis le début et qui savent ce qu’il y a derrière les pages et les outils ;
  • une entrée pour les personnes qui n’ont pas beaucoup de temps où l’on va mettre en évidence les points importants du moment
  • une entrée pour les nouveaux où l’on sera dans une interface extrêmement épurée et avec des moments d’accueil où on leur fera visiter cette techno structure

avec Florent Merlet

Peux-tu expliquer ton rôle dans Riposte Créative Territoriale : ?

On utilise le terme de techno-pédagogue mais je dirai plutôt celui d’un facilitateur en usage numérique au même titre que l’on peut avoir des facilitateurs en intelligence collective pour animer, faire émerger de l’intelligence collective. Mon rôle se rapproche beaucoup de celui d’un facilitateur mais du point de vue des usages et des outils associés.

Est-ce que tu peux expliciter quelques une de ces taches de facilitation ?

La première tâche, même si j’avais déjà pu travailler de mon côté avec des wikis (autres que YesWiki) a été d’apprendre moi-même quelles étaient les possibilités de l’outil et m’y former. J’ai beaucoup travaillé avec Laurent Marseault au début pour bien comprendre jusqu’où pouvait aller l’outil. Je me suis formé avec Laurent et en autonomie et de cette auto-formation accompagnée, j’ai pu proposer des tutoriels qui facilitaient la prise en main du wiki pour les utilisateurs ; pas assez à mon goût mais cela demande toujours pas mal de travail pour réaliser un tutoriel ou une vidéo.

Mais surtout, j’ai pu accompagner toutes les personnes qui avaient besoin de mettre des contenus en ligne à la prise en main du wiki et à développer leur autonomie ou mettre des dispositifs en place pour les aider à en mettre facilement, notamment à travers des bases de données comme celles des ressources, des acteurs et il y en a beaucoup d’autres, avec aujourd’hui 25 petites bases de données dans le wiki de Riposte Créative.

Un autre gros travail a été de faciliter en mettant en place des pages spécifiques, des outils particuliers pour permettre de travailler en session de travail à distance avec un grand nombre d’acteurs. C’est par exemple mettre des liens, des boutons sur des pages, rendre les choses visibles dans le programme d’une journée pour faciliter l’accès à des pads de prise de notes ou à des salles de réunion virtuelles pour des ateliers, l’aller-retour avec des salles de réunion plénières... Là où je passe beaucoup de temps sur le wiki c’est pour la création de ces pages spécifiques : déroulé, programme et accès aux différents outils pour une réunion de travail ou alors pour des pages de contenus qui sont là pour être lues à tête reposée par d’autres acteurs de la Riposte ou des personnes qui s’y intéressent.

Dans cet esprit de facilitation, tu as été très présent aux réunions de coordination de Riposte Créative Territoriale, quels ont été les points de difficulté ?

Très présent, oui, je dirai même presque trop. J’en viens à ce point de vigilance sur la posture du techno-pédagogue dans ce cadre-là. A quel moment va-t-il travailler sur l’autonomisation et à quel moment va-t-il plutôt donner un petit coup de pouce pour que cela aille plus vite ? C’est un des écueils et j’ai toujours du mal à en sortir. Ma préférence va toujours lorsque l’on me pose une question « tiens j’aimerais faire ça sur le wiki, comment cela se passe ? » à « tiens passons un moment ensemble je t’explique comment on le fait et tu le fais, toi ». Mais souvent les utilisateurs, et j’avoue ne pas avoir résolu cette problématique, sont dans une forme d’urgence et ils ont l’impression que cela va être plus long d’apprendre et de le mettre en place eux, alors qu’ils vont rentrer dans un apprentissage, plutôt que je le fasse moi-même. Et souvent j’entends « oui mais là c’est spécifique, c’est urgent, je n’ai pas le temps, il faudrait que cela soit mis en place tout de suite, est-ce que tu peux le faire, s’il te plait ? » et souvent j’accepte parce que l’urgence fait que... Et souvent pour moi ce sont des étapes un petit peu loupées de possibilités d’apprentissage nouveau pour les différents acteurs de la Riposte. C’est vraiment un écueil que j’ai rencontré sur l’accompagnement que je peux proposer : comment arriver à montrer aux gens que ce n’est pas si long d’apprendre, que faire n’est pas si compliqué ?

C’est aussi comment dépasser la peur de casser, il y a beaucoup de personnes qui ont peur de casser et c’est vrai que cela arrive mais ce n’est jamais un problème. On a eu plein de choses qui ont été cassées dans des pages d’accueil mais en deux clics cela se répare. Les difficultés rencontrées sont autour de ces deux notions : « ce n’est pas parce que c’est urgent qu’il ne faut pas passer par un petit temps d’apprentissage pour pouvoir le faire ensuite en autonomie plus facilement » et « ne pas avoir peur de casser » ; ce sont deux notions que j’ai du mal à faire passer avec cet outil du wiki.

C’est peut-être lié au contexte de cet outil qui était complétement ouvert en écriture, est ce que cela t’a amené des problématiques nouvelles ?

La problématique nouvelle que l’on a rencontré avec l’ouverture du wiki, c’est la vision des RSI (Responsable Sécurité Informatique), pas forcément des nôtres, mais des RSI qui ont pris contact avec nous assez rapidement pour nous dire : « attention votre wiki est ouvert, n’importe qui peut mettre du contenu en place » et notre réponse a été : « oui, c’est l’idée ! ». Cela a fait beaucoup peur à quelques RSI qui nous ont fait remarquer que tous nos contenus étaient ouverts, modifiables, supprimables... Je les ai quand même rassurés en leur disant qu’il y avait des filets de sécurité. On a eu le cas de notre page d’accueil qui a été piratée par un petit malin qui avait mis une publicité pour un produit qui n’avait rien à voir avec la Riposte. Quelqu’un l’a vu en disant « mince qu’est ce qui se passe », on l’a corrigé dans les 10 minutes et ce n’est jamais revenu.

Il est arrivé aussi que beaucoup de gens cassent la page d’accueil et cela devient complètement illisible, mais en deux clics on revient à la version précédente et c’est assez simple à corriger ; Ce sont toujours les peurs de casser ou que notre contenu disparaisse, mais techniquement cela n’arrive pas et on peut y remédier facilement.

Mais surtout, ayant l’habitude proposer des outils numériques à beaucoup d’acteurs dans tout ce que l’on peut mettre en place au laboratoire d’innovation du CNFPT, même avant l’arrivée de Riposte, une des grandes problématiques reste les mots de passe parce que les gens oublient leur mot de passe, ne savent plus comment on se connecte, ne savent pas comment installer l’application qui va avec... Là, avec Riposte, on est dans la cadre d’une proposition où il n’y a pas de mot de passe, je fais un simple clic, je peux modifier, un autre clic pour enregistrer, si j’ai fait une bêtise on revient facilement en arrière. On ne sait pas forcément qui fait quoi, c’est une petite mise en garde, et à quel moment sur le wiki, mais finalement cela ne nous a jamais posé de problème. Les gens n’ont rien besoin de se souvenir, juste l’adresse de la Riposte ; ils s’y rendent et ils font, cela c’est vraiment un gros plus et quand on arrive à canaliser cette peur de casser, les gens prennent de plus en plus la main dessus.

Souvent c’est encore moi qui met en place la page d’accueil parce qu’il y a des petits éléments graphiques un peu plus complexes, mais j’ai des collègues qui habituellement ne sont pas du tout à l’aise avec les outils, le numérique cela leur fait peur. Quand il faut corriger un mot dans un texte sur le wiki, pour eux c’est très facile aujourd’hui, et du coup cela va très vite. On n’a plus de mel qui dit « Florent il faudrait corriger la page », c’e sont plutôt des mel qui disent « Il y avait une faute sur la page d’accueil, t’inquiètes pas c’est moi qui l’ai corrigée, c’est fait » et parfois il y a un petit message à côté « en revanche la mise en forme a un peu cassé, si tu peux regarder ». Comme cela on est plusieurs à travailler sur le contenu et pas seulement un exécutant, je déteste avoir cette posture d’exécutant qui fait parce qu’il a la technicité. Comme la technicité est simplifiée, on est dans des actions un peu plus intéressantes pour chacun de nous.

Est-ce que tu penses que ce type d’espace collaboratif ouvert peut intéresser d’autres projets au CNFPT ?

Clairement oui, après la formation qui a été faite avec le département de la Gironde (Créer et animer un Riposte Créative) le collègue du CNFPT qui l’organisait m’a tout de suite appelé, et pour lui ce wiki est potentiellement une base de travail pour tellement de projets, même sur des projets qui ne travaillent pas forcément sur la notion de coopération, la posture de collaboration dans laquelle on est permet d’aller sur tellement de terrains qu’il faut absolument creuser cette question-là. On n’a pas encore eu le temps de se poser pour y réfléchir pleinement mais c’est quelque chose qui ouvre un champ des possibles très large et qui peut aller très loin pour nous, surtout dans le champ de la formation où l’on parle souvent de communauté, de communauté apprenante, et le wiki sur n’importe quelle thématique est une vraie base de travail pour une communauté pour produire du contenu, garder des éléments intéressants, avoir des espaces qui sont faciles à mettre en place en trois clics.

Les contenus de Riposte sont sous une licence qui en permet la réutilisation ce qui est un peu nouveau pour le CNFPT est ce que dans ton vécu avec les personnes contributrices du Riposte cela a posé problème et est ce que l’idée de communs peut faire son chemin ?

L’idée de communs a déjà fait son chemin parmi nos acteurs. Je n’ai pas souvenir de difficulté dans le cadre de la Riposte. C’est une des premières choses que l’on avait posé au démarrage du projet : sur la Riposte, par défaut les contenus sont sous une licence Creative Commons by SA, pour que l’auteur soit cité (ndr et qu’il n’y ait pas d’enclosure). Cela me semble important d’être dans cette démarche et surtout personne n’a trouvé argument pour aller à l’encontre de celle-ci. Tout le monde y voit l’intérêt ; moi-même à titre personnel, cela fait 20 ans que, lorsque j’étais enseignant, mes cours étaient accessibles en ligne et partagés, il n’y avait pas forcément la licence creative commons, mais les contenus étaient réutilisables, modifiables. C’est une posture qui est vraiment partagée dans la communauté. Il y a vraiment cette idée d’avancer ensemble, la posture de nos acteurs est plutôt dans le partage, pour faire avancer les choses, ces notions de coopération de collectif, de comment on fait mieux ensemble, et s’il n’y avait pas ce partage des contenus on serait incohérent. De mon souvenir, on a dû croiser 300 ou 400 personnes autour de la démarche de la Riposte avec plus ou moins d’acteurs réellement engagés dans le processus, mais personne ne nous a fait remonter l’idée comme quoi ce serait bien de « protéger » nos contenus.


Vers un réseau d’entraide entre techno-pédagoque

Oui c’est une idée intéressante. Techno pédagogue est un métier qui est un peu nouveau, qui commence à s’affirmer, Ces personnes sont trop souvent dans l’ombre alors qu’elle sont aussi déterminantes que des bons animateurs et il est important de leur donner un peu plus de place et de visibilité au sein du projet. Ce sont des personnes qui restent souvent isolées dans leur structure. Quand un projet a un techno-pédagogue c’est plutôt bien. Quand je parlais de veille sur des outils, de tester ces outils avant de les proposer, cela milite pour l’intérêt d’un fonctionnement en réseau. C’est aussi relier des techno-pédagoques impliqués dans des structures de formation éloignées par le public concerné et qui ne coopèrent pas naturellement. Un réseau pourrait aider à structurer ce métier en devenir avec des formation ou à minima des contenus partagés entre techno-pédagoques.

ndr : il s’agit d’un groupe d’entraide entre personnes ayant ce rôle dans un espace en coopération ouverte, si tel est votre cas et que ce groupe vous intéresse, merci de contacter Laurent Marseault.


Quelques mots pour se présenter :

Laurent Marseault : Animateur nature durant une vingtaine d’année, passionné de pédagogie, des relations homme / nature et des insectes, j’accompagne et forme autour des postures, méthodes et outils qui permettent aux collectifs de grandir en coopération. Je suis un des co-créateurs de l’association Outils-Réseaux, de la formation animacoop mais aussi de YesWiki. Je suis accessoirement pompier volontaire, élu et papa.


Florent Merlet : Technopédagogue au sein de la mission innovation et du laboratoire d’apprentissage du CNFPT, mon action consiste principalement à proposer des outils méthodologiques et numériques, reposant sur l’intelligence collective et la collaboration, au service de la transformation de l’action publique et de la formation. Je porte AVEC de nombreux acteurs engagés la démarche Riposte Créative Territoriale et pilote l’Université de l’Innovation Publique Territoriale.


Michel Briand : Après une activité d’élu local à Brest et professionnelle(responsable de formation d’ingénieur à l’IMT Atlantique) ancrée dans une démarche contributive, et la participation au Conseil National du Numérique [3] je suis en retraite professionnelle et d’élu. Je m’implique dans des projets coopératifs au croisement des innovations pédagogiques, des innovations sociales, des transitions et des communs.


Aller plus loin :

Quelques liens sur explorer des facettes de la coopération ouverte :

 Animacoop formation à l’animation de projets coopératifs ]] et aussi Interpole, l’espace ressource de la CIA (Collectif Inter Animacoop).

 Archipélisation : comment Framasoft conçoit les relations qu’elle tisse, sur le blog de Framasoft, 10 décembre 2019.

 Agora des archipels, un espace de rencontres et de partage entre acteurs de la transition qui se retrouvent dans un fonctionnement u, qu’ils soient des individus, des collectifs en archipel.

 Autour des compétences qui favorisent la coopération : L’état d’esprit collaboratif, « faire avec » et « avoir le souci des communs » : trois pivots pour coopérer par Elzbieta Sanojca dans Innovation Pédagogique, 11 mars 2018.

 Ce que nous apprenons des Riposte Créative, une démarche d’écriture collaborative réutilisable, par Michel Briand et Laurent Marseault, 21 juin 2020.

 Coopération ouverte pour un monde vivable et désirable, texte élaboré lors desrencontres Co-construire à Tournai, août 2019.

 La compostabilité : pour un écosystème de projets vivaces par Romain Lalande et Laurent Marseault sur Vecam, 4 mars 2018.

 La coopération, un changement de posture : vers une société de la coopération ouverte, diapos commentées et audio de la conférence de Michel Briand au colloque QPES 2019, dans Innovation Pédagogique, juin 2019.

 Créer et animer une "Riposte Creative, formation action autour de la coopération ouverte proposée au CNFPT par Michel Briand et Laurent Marseault et mise en oeuvre pour le département de la Gironde avec Julie Chabaud (février, mars 2021).

 E-book Cooptic un manuel à l’usage des animateurs de réseau et les contenus bonifiés par Gatien Bataille dans sa formation cooptic

 La gare d’aiguillage aussi appelée "gare centrale" dans les formations Animacoop espace de partage d’information qui rend visible tous les éléments utiles aux membres d’un collectif pour y agir en collaboration, un exemple de circulation ds flux sur Riposte Creative Bretagne.

 Histoires de coopération, une trentaine d’interview d’acteurs de la coopération ouverte sur le blog Coopérations, mars 2019.

 Partage sincère, "tragédie du LSD", fonctionnement en archipel : dialogue autour de la coopération ouverte avec Laurent Marseault, 12 mars 2021.

 Le rôle du techno-pédagogue dans un « Riposte créative » espace en coopération ouverte, entretien avec Laurent Marseault et Florent Merlet, 15 avril 2021.


Quelques projets auxquels nous participons autour de la coopération ouverte

 Bretagne Creative

"L’innovation sociale ouverte, c’est donc donner à voir son projet/son idée, échanger avec les autres pour croiser et enrichir les savoirs-faire et compétences. Sources d’efficience et créatrices de lien social sur les territoires, les démarches collaboratives sont une manière de pérenniser et de multiplier ces initiatives tout en favorisant le bien commun."

 Riposte Creative Territoriale

L’objectif ? Co-construire, avec les collectivités territoriales, les réponses formatives innovantes pour faire face à ces défis complètement inédits, en mobilisant l’intelligence collective. Comment développer des modes d’apprentissage dans l’urgence, pour des solutions créatrices de valeur sociale pour le service public territorial et la démocratie locale ?
Notre intention fait écho à l’alerte de Bruno Latour : « Si on ne profite pas de cette situation incroyable pour changer, ce serait gâcher une crise. »

 Riposte Creative Bretagne

« Une marmite ne commence pas à bouillir par le couvercle, mais toujours par le fond ! » Proverbe de Haute-Bretagne un espace collabortaif ouvert pour

  • donner à voir et mutualiser les initiatives en complémentarité des services et groupes mis en place
    -* exprimer des besoins prenant en compte les personnes en précarité, en situation de fragilité et éloignées des services proposés
  • favoriser l’attention, le soin, et une convivialité, et ainsi contribuer au bien vivre ensemble
  • favoriser des transformations créatives solidaires et en transition pour l’après

 Faire ecole ensemble
association - collégiale et à durée de vie limitée - qui facilite le soutien citoyen de la communauté éducative durant l’épidémie de COVID-19. Ses actions s’organisent par programmes et se destinent à être supportés par des coalitions d’organisations pérennes.

 Outils libres

Internet avait été conçu comme un réseau décentralisé, qui donne du pouvoir et de la liberté aux citoyens. Sortir nos informations des gros silos de données pour revenir à des petites structures ouvertes et inter-connectées, c’est possible avec un peu de savoir faire technique et de la bonne volonté. Dans le cadre du mouvement plus global des logiciels libres, et par sa rencontre et collaboration avec l’association Framasoft, Colibris a rejoint le Collectif d’Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts, Neutres et Solidaires (CHATONS) et met à disposition gratuitement des solutions libres et respectueuses de la vie privée.

 Transiscope

Aujourd’hui, de nombreux d’acteurs de la transition et des alternatives ont entamé un travail de recensement et de cartographie de leurs organisations, actions et écosystèmes.

Dans la majorité des cas, néanmoins, ces informations sont éparpillées sur les sites de chacune de ces organisations et les données ne peuvent pas communiquer entre elles en raison de choix techniques différents : aucune visualisation agrégée n’était jusqu’à présent possible.

Pour permettre de relier ces alternatives, une dizaine de collectifs travaillent depuis deux ans pour développer des outils libres permettant de connecter les différentes bases de données existantes et de les visualiser au même endroit : TRANSISCOPE

 Collectif Yeswiki

L’outil libre facilitant la coopération ouverte.
YesWiki est un logiciel libre né du croisement des discussions et savoir-faire de développeurs et animateurs de projets coopératifs.

A l’image d’une page blanche, ses usages sont quasiment illimités : ils dépendront de votre créativité !

YesWiki est aujourd’hui maintenu et amélioré par une communauté de professionnels issus d’horizons différents qui prend du plaisir à partager ses rêves, ses créations et ses développements.