Enseigner en mode collaboratif interview de Bénédicte Gastineau, enseignante en Master 2 « Mathématiques appliquées aux sciences sociales »

, par  Michel Briand , popularité : 20%

Amener les étudiants à co-produire des contenus de formation, les transmettre à la promotion suivante, réaliser des productions originales, n’est pas si courant.

Aussi après la présentation du fonctionnement collaboratif d’un laboratoire « Population-Environnement-Développement » à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Innovation pédagogique a le plaisir de vous présenter ce retour d’expérience de Bénedicate Gastineau, co-responsable du Master 2 « Mathématiques appliquées aux sciences sociales » à l’Université d’Aix Marseille.

Bonjour Bénédicte, est-ce que tu peux te présenter ainsi que les enseignements que tu réalises ?

Je m’appelle Bénédicte Gastineau, je suis chercheur, démographe. Je travaille sur le lien entre la croissance démographique et l’accès aux ressources naturelles en Afrique principalement. Depuis 2018, je dirige un laboratoire de recherche et depuis une dizaine d’années, j’enseigne à l’université d’Aix-Marseille. Je suis actuellement co-responsable depuis quelques années de la deuxième année d’un Master « Mathématiques appliquées aux sciences sociales ».. J’enseigne principalement l’analyse démographique. Mes cours portent sur les indicateurs démographiques, sur les méthodes de calcul mais avec les étudiants, j’essaye surtout de travailler sur l’interprétation des indicateurs, d’avoir un esprit critique sur la construction de ces indicateurs et des données, sur les enjeux sociaux et politiques des questions de démographie, les relations entre la démographie et enjeux climatiques par exemple.

Comment t’es venue l’idée de développer la coopération avec les étudiants au-delà de la transmission de savoirs ?

D’abord parce que je le faisais ailleurs notamment dans le laboratoire de recherche que je dirige (voir Interview de Bénedicte Gastineau, vers un fonctionnement collaboratif d’un laboratoire de recherche et d’enseignement) et puis il y a eu un moment où je me suis vraiment ennuyée en tant qu’enseignante.

J’avais un peu fait le tour de ce que j’enseignais et du plaisir que j’avais à enseigner. J’allais en cours à reculons et je voyais bien que je n’arrivais plus à transmettre ce que j’avais envie de transmettre. Je trouvais que mes relations avec les étudiants étaient de moins en moins bonnes et plutôt que de me dire que c’était les étudiants qui avaient changé, je me suis dit que c’était peut-être moi qui avais besoin de renouveler mes méthodes et mes postures d’enseignement.

Est-ce que tu pourrais expliquer ce que tu as mis en place ?

Je l’ai fait en concertation avec d’autres collègues et surtout une autre collègue qui a en charge une partie des cours de démographie dans cette même formation.

Nous avons commencé tout doucement, depuis quatre ans, à modifier nos méthodes d’enseignement pour co-construire avec les étudiants. Généralement, nous leur demandons assez souvent de travailler en groupe mais assez peu en coopération.

Nous proposons par exmeple que les étudiants prennent en charge une partie de l’animation du cours : je leur propose chaque année d’organiser eux-mêmes une séance à laquelle je ne participe pas. Ils prennent en charge le cours et c’est toujours un peu de stress. On distribue au cours précédent le déroulé avec le rôle de chacun, et ils font le cours seuls sans moi. C’est pour eux très éclairant sur leurs compétences, sur ce qu’ils sont capables eux-mêmes de transmettre à leurs collègues.

Nous travaillons avec un wiki enseignement sur lequel moi et ma collègue nous déposons des contenus et les étudiants peuvent aussi mettre des contenus et s’approprier ce qui est mis par les autres. Par exemple, ce sont eux qui vont mettre les corrections des exercices.

Nous leur proposons de prendre des notes collectivement sur des PAD, pour leur montrer que les prises de notes collectives sont beaucoup plus riches que s’ils prennent chacun leur note sur leur cahier ou leur ordi. Ce qui produit collectivement (notes ou autres) est pour moi une bonne indication de ce que vous a été retenu cours, ce qui a été transmis.

Ce wiki permet aussi, de transmettre d’une promotion à l’autre ; et c’est important pour ma collègue et moi. Ce que vont produire les étudiants dans un cours sera ensuite présenté à la promotion suivante et les étudiants sont très sensibles à cela. Il y a un peu d’itération : nous les fait travailler sur des choses qui sont remises ensuite en discussion à la promotion suivante qui peuvent l’améliorer. C’est quelque chose qui leur plaît beaucoup.

Nous utilisons quelques méthodes d’animation en intelligence collective pour produire du débat autour des grandes questions de démographie par exemple, ou pour produire des contenus (fiches de synthèses, revues de presse…). Nous encourageons la créativité : les étudiants peuvent choisir de rendre leur devoir sous des formes différentes : de la vidéo, du texte, des cartes mentales… C’est très intéressant notamment parce que nous avons des étudiants qui ont du mal à écrire ou à s’approprier l’écrit pour plein de raisons différentes. Le fait de lâcher prise, de dire « voilà ce que vous rendez mettez-les sous le format que vous voulez », n’est pas toujours évident pour nous enseignants mais cela permet d’avoir des productions qui sont vraiment de qualité, originales et qui valorisent les étudiants. Ce sont aussi des productions plus faciles à présenter et à transmettre à d’autres étudiants : plus facile de faire passer un message, d’expliquer un enjeu de démographie avec une vidéo par exemple qu’avec un devoir sur table.

Est-ce que ce mode de travail coopératif n’est pas être trop difficile à appréhender par les étudiants et est-ce que l’ambiance d’apprentissage a changé depuis que tu mets cela en œuvre ?

Au début c’était un peu difficile. La première année c’était un petit peu compliqué pour moi de sortir de ma posture classique d’enseignant. Je manquais un peu d’assurance. Pour eux aussi c’était vraiment surprenant avec beaucoup d’étudiants qui viennent de filières de maths ou les enseignements sont souvent très classiques et se prêtent peu à la créativité. La façon de les rassurer a été de poser dès le début les objectifs du cours et de dire que ce sont toujours les mêmes depuis 25 ans que j’enseigne l’analyse démographique. « Voilà les objectifs du cours et peu importe comment on y arrive, l’important c’est que vous ayez acquis telles ou telles compétences ». Cette présentation est extrêmement rassurante pour eux. Ils comprennent qu’ils ont des savoirs et des compétences à acquérir et après le chemin par lequel nous y arrivons ensemble peu différer si nous sommes clairs sur les objectifs.

Il y a eu aussi un effet promotion : la première année c’était un peu compliqué mais comme cela a beaucoup plu, les étudiants de seconde année (M2) ont rassuré ceux de première année (M1). Ils transmettent leurs productions aux M1, leur montrent ce qu’ils ont fait. Malgré des méthodes pédagogiques qui peuvent être un peu déroutantes pour eux, les étudiants voient qu’ils vont acquérir des savoirs et des compétences qui vont rentrer dans des cases à la fin avec des notes remises à l’administration et donc contribuer à leur diplôme.

En même temps ce que l’on voit dans l’ambiance et lorsque les cours sont évalués (le cours a été évalué plusieurs fois de suite au sein de l’UFR de sciences) : les évaluations sont extrêmement bonnes de la part des étudiants du fait de ces méthodes. Les évaluations à la fin de mon cours montrent que les étudiants sont contents parce qu’ils ont pris du plaisir, parce qu’ils ont contribué au contenu du cours, à la production des supports et des contenus du cours. Ils apprécient aussi le fait d’être autonomes.

Et en termes d’efficacité pédagogique est-ce que cela change quelque chose ?
Ce que je vois depuis deux ans, c’est que non seulement nous atteignons toujours les objectifs mais que nous allons de plus en plus loin.

Ils savent aujourd’hui calculer les indicateurs démographiques de bases et avoir un regard critique sur ces indicateurs. Je fais à peu près le même devoir en fin d’année parce qu’il faut bien des notes, et les notes sont de plus en plus élevées.
En plus, il y a tout ce qu’ils produisent autour du cours proprement dit : les vidéos par exemple, le début d’un manuel de démographie… l’objectif de transmettre à la promotion suivante. Je vois là du travail de bonne qualité avec des connaissances qu’ils sont allés chercher ailleurs. Tout cela dans une ambiance très agréable.

Et si ça fonctionne bien qu’est-ce qu’on pense les autres collègues de l’UFR ?
Dans l’UFR en général, l’expérience n’est pas encore bien connue. Au sein même du Master, nous avons organisé une journée entière consacrée au travail collaboratif. Nous a réuni les étudiants dans des ateliers autour des postures et des techniques d’animation pour faciliter leur travail en collaboration. Nous leur a montré des outils pour travailler ensemble : outils d’animation et outils numériques. L’an passé, nous l’avions fait avec Laurent Marseault. Cette année, nous l’avons organisé avec d’autres enseignants du Master en réunissant deux promotions d’étudiants (M1 et M2), en mathématiques appliquées et en écologie. Cette journée a été bénéfique aux étudiants et au collectif d’enseignants

Est-ce qu’il y a une cellule d’ingénierie pédagogique université est-ce que tu peux échanger avec eux pour ton expérience

Je ne connais pas de cellule d’ingénierie pédagogiques de ce type là. Il y a un autre laboratoire qui ont aussi des méthodes en pédagogie, nous avions rendez-vous cette semaine avant le confinement...

Pour le moment j’ai eu assez peu d’échange avec d’autres enseignants que ceux du Master sur ces pratiques, mais nous a suffisamment testé de choses pour commencer à en partager avec d’autres collègues.