Création d’un collectif "Savoirs COM1" : Politiques des biens communs de la connaissance
A l’initiative entre autres de Lionel Maurel [1] et Silvère Mercier [2] se crée un collectif SavoirsCom1 sur les Politiques des biens communs de la connaissance.
Ce collectif s’inscrit dans le réseau francophone autour des Biens communs dont a-brest a relayé l’appel et dont la première réunion se tient à Paris le 26 septembre.
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Voici le Manifeste de ce collectif Savoirs COM1.
L’approche par les biens communs s’inscrit dans la continuité de l’appel pour la constitution d’un réseau francophone autour des Biens Communs :
Par Biens Communs, nous entendons plusieurs choses : il s’agit d’abord de ressources que nous voulons partager et promouvoir, que celles-ci soient naturelles – une forêt, une rivière, la biosphère -, matérielles – une machine-outil, une imprimante – ou immatérielles – une connaissance, un logiciel, l’ADN d’une plante ou d’un animal –. Il s’agit aussi des formes de gouvernance associées à ces ressources, qui vont permettre leur partage, le cas échéant leur circulation, leur valorisation sans destruction, leur protection contre ceux qui pourraient atteindre à leur intégrité. Les Biens Communs sont donc à la fois une approche alternative de la gestion de biens et de services, qui bouscule le modèle économique dominant basé sur la propriété, et un imaginaire politique renouvelé.
Les politiques publiques de l’accès à l’information se sont construites sur l’accès et la diffusion de biens rares et rivaux, c’est-à-dire que la jouissance des objets tangibles qu’elles mettent à disposition prive d’autres personnes de cette même jouissance. Or le propre du numérique est la faculté de reproduire des biens non rivaux à l’identique et sans perte d’information, à l’infini, et pour un coût quasi nul. Le contexte est radicalement nouveau car il permet la création et la diffusion à grande échelle de Biens communs informationnels. En voici une définition :
Biens communs qui peuvent être créés, échangés et manipulés sous forme d’information, et dont les outils de création et le traitement sont souvent eux-mêmes informationnels (logiciels). Il peut s’agir de données, de connaissances, de créations dans tous les médias, d’idées, de logiciels. Les biens communs informationnels sont des biens publics parfaits au sens économique, contrairement aux biens communs physiques, qui gardent toujours une part de rivalité ou d’excluabilité.
Ni mouvement politique, ni opposition frontale entre secteur public et secteur privé, il s’agit de considérer l’information dans une triple dynamique :
– L’information elle-même
– la communauté qui lui est associée (les commoners)
– les règles de fonctionnement qu’elle se propose de suivre.
Cette triade est essentielle parce qu’elle prend en compte des usages et des règles, et parce qu’elle touche aux aux conditions d’appropriabilité de l’information. De la liberté autorégulée des logiciels libres (licence GNU/GPL) à l’encyclopédie collaborative Wikipédia, en passant par les licences Creative Commons et les fonds numérisés du domaine public librement mis à disposition, l’ensemble des communs représentent pour Yochaï Benkler “une valeur créée socialement et une force macro-économique et culturelle”. C’est à partir de ces biens communs informationnels que se construisent des modèles d’affaires, des réseaux citoyens d’accès à l’information, des communautés régulées (La Richesse des Réseaux).
Les biens communs informationnels représentent un nouveau paradigme. Selon David Bollier, des principes généraux sont applicables à la plupart des biens communs :
– Maintenance d’une ressource sur le long terme
– Accès équitable et bénéfique pour un usage individuel (et non marchand) des commoners
– Transparence et responsabilité au sein des commoners
– Capacité à identifier et à punir les usages abusifs, le vandalisme et les appropriations
– Capacité à déterminer si la ressource doit être aliénée en vue d’un usage marchand ou non.
Ces principes n’ont pas valeur de lois mais peuvent et doivent s’adapter à des contextes historiques et des circonstances locales. L’inscription et la reconnaissance des vertus potentielles d’espaces communs de biens informationnels gérés par des commoners doit être au cœur de l’activité des politiques publiques.
Replacer les politiques publiques sous le signe des biens communs signifie garantir l’interopérabilité, la lisibilité, l’appropriabilité et la citabilité des biens informationnels, et contribuer au développement d’une culture de l’information de nature à favoriser le développement des connaissances et des apprentissages.
Dès lors, l’objectif est le suivant : protéger à travers le temps une ressource informationnelle et les règles établies par la communauté qui la partage. Les communs sont sans cesse menacés par des logiques d’enclosures, c’est à dire d’appropriation indue, hors de la communauté d’origine. Créer une enclosure, c’est refermer par des moyens économiques (ex. : modèles verticaux intégrés), juridiques (déséquilibre du droit de la propriété intellectuelle), ou techniques (ex. : DRM) ce qui a été créé selon un principe d’ouverture. C’est aussi couper un bien informationnel de la communauté qui en a défini les règles de gestion. C’est contre ces enclosures qu’il nous faut nous élever, en ayant à l’esprit que les enclosures peuvent aussi bien être le fait du monde marchand que du monde non marchand. Le principe est le suivant : ce qui est issu des communs doit demeurer dans les communs à moins que les commoners n’en décident autrement.
Les politiques publiques, en particulier celles liées à l’information et à la documentation, doivent garantir le respect des principes suivants pour permettre l’existence et le développement des biens communs informationnels.
1. La neutralité de l’Internet est vitale pour garantir le transport de l’information par des opérateurs qui ne discriminent pas ce qu’ils transportent en fonction de la nature ou du volume d’information. La neutralité du net est une condition nécessaire de l’innovation propice à la naissance, au développement et à la pérennité des biens communs informationnels.
2. La protection des données personnelles doit être un élément de lutte contre des enclosures qui dépossèdent les utilisateurs de leurs propres données. Il faut garantir la manipulabilité des données personnelles, leur contrôle citoyen et la régulation de leur usage.
3. Dans la perspective d’une science ouverte au-delà du cercle académique, l’accès libre aux publications scientifiques doit primer face aux phénomènes d’appropriation de la recherche publique. Il s’agit de favoriser un modèle économiquement soutenable de l’accès libre aux données scientifiques, notamment pour favoriser un dialogue science-société. Ce n’est pas seulement d’accès, mais d’appropriation de nouvelles approches et de nouveaux paradigmes amenés par le numérique et rendus possibles par un accès libre aux données et aux métadonnées de la recherche qu’il s’agit, en toute cohérence avec le Manifeste des Humanités numériques.
4. Les ressources éducatives libres sont autant de biens communs informationnels dont il faut encourager le développement. Il s’agit de données, de métadonnées, de savoirs, mais aussi de savoir-faire, et de savoir-être. La création, la mise en circulation de l’information doivent être pleinement intégrés dans les cursus scolaires et universitaires et dans les formations tout au long de la vie. Il s’agit là d’enjeux forts favorisant la citoyenneté et des apprentissages en réseaux, socles de l’existence des biens communs.
5. L’ouverture des données publiques dans des conditions qui évitent les enclosures doit favoriser des cercles vertueux. Quand il s’agit de favoriser le développement de nouveaux modèles d’affaires, cela doit se faire dans des conditions de “partage à l’identique” où ce qui est créé et vendu de manière exclusive ne doit pas être la ressource mais les services qui lui sont associés.
6. L’usage des logiciels libres est de nature à garantir aux utilisateurs la possibilité d’expérimenter, d’innover, de créer du code informatique ouvert et de qualité. L’approche par les biens communs ne favorise pas seulement l’ouverture du code, mais repose sur l’usage de protocoles et de standards ouverts. Elle valorise ainsi les dynamiques de leur appropriation, et, par conséquent, la réappropriation des enjeux et des données qui leur sont relatifs.
7. Le partage non marchand d’œuvres protégées doit être possible, et des mécanismes de rémunération alternatifs pour les auteurs doivent être explorés. De la même manière, la possibilité d’effectuer des usages non commerciaux des œuvres est essentielle au développement personnel des individus. La situation de l’auteur doit être prise en compte lors de la mise en place de nouvelles exceptions ou limitations au droit d’auteur, ou lors de la révision des anciennes.
8. Le domaine public et les savoirs partagés doivent être encouragés, préservés et soutenus par les politiques publiques. Le collectif soutient les 10 recommandations issues du Manifeste pour le domaine public dont il reprend le périmètre exprimé comme suit : En complément aux œuvres qui appartiennent au domaine public au sens strict, il existe de très nombreuses œuvres de valeur partagées volontairement par leurs auteurs par le biais de licences libres. Ces auteurs les ont placées sous des termes d’usage généreux, créant ainsi des biens communs construits par les contrats qui fonctionnent sous de nombreux aspects comme le domaine public. Enfin, les individus peuvent également utiliser des œuvres protégées du fait des exceptions et limitations au droit d’auteur, du fair use ou du fair dealing. Toutes ces composantes du domaine public qui permettent un accès accru à notre culture et à notre patrimoine sont essentielles.
9. Placer les biens communs au cœur des modèles économiques de l’information. Le collectif promeut une approche complexe des écosystèmes informationnels. Le numérique a fait éclater les chaînes de valeur linéaires au profit du développement d’écosystèmes. Prendre acte de cette évolution signifie refuser une stricte défense d’acteurs économiques au nom de la défense d’un secteur, d’un acteur ou d’une chaîne économique (la chaîne du livre par exemple). Les droits des utilisateurs, notamment l’accès facilité, la citabilité et la réappropriabilité des biens communs ainsi que la juste rémunération des auteurs doivent guider tout modèle économique lié à l’information. Le collectif déclare encourager des modèles qui valorisent économiquement des services, à la différence de ceux qui vendent des données. Il refuse catégoriquement tous les dispositifs techniques (DRM) qui limitent les usages de l’information et, par conséquent, entravent le développement de biens communs informationnels
10. Favoriser la création et le développement des biens communs informationnels sur les territoires. Les biens communs informationnels sont intimement liés à des communautés dont les politiques publiques doivent faciliter les conditions d’existence. Les points d’accès publics à Internet doivent ainsi garantir une très large variété d’usages collectifs, sans discrimination technique ou juridique qui irait au-delà du cadre légal en vigueur. Plus que d’accès, c’est l’enjeu de l’accompagnement à l’acquisition d’une culture informationnelle qui est important. Le collectif soutient la création et le développement de (tiers) lieux (bibliothèques, centres culturels, fablab, etc.) comme espaces communs largement ouverts et modulables dans lesquels peuvent se déployer des usages collectifs. Il s’agit de croiser les approches des acteurs comme des usagers, et de décloisonner les services publics au bénéfice des politiques publiques de l’éducation, de la culture ou du développement économique.
Le numérique est un processus qui transforme l’ensemble de la société en modifiant l’appropriation et le partage des connaissances.
Il est essentiel que les politiques publiques en tiennent compte et préservent tout autant que promeuvent ce qui en est le coeur : la création et le partage des biens communs informationnels.