Pratiques collaboratives ouvertes dans la politique publique d’internet et du multimedia à Brest

, par  Michel Briand , popularité : 12%

Les pratiques collaboratives ouvertes et l’élargissement des biens communs numériques constituent le fil conducteur d’une quinzaine d’années de politique publique autour d’internet et du multimédia à Brest.

L’expérience de Brest s’est construite dans un modèle participatif qui a évolué progressivement du faire avec à la co-construction, impliquant et valorisant les acteur-ice-s locaux, la mise en communs et leur coopération à la façon du libre et des réseaux sociaux.

Et aujourd’hui au pays de Brest et au croisement de réseaux se pose la question du passage à l’échelle de la coopération et des biens numériques mis en communs.

Faire avec, Être en attention, Donner à voir, Mettre en communs, Outiller, Relier, Coopérer, Innover

Une méthodologie en huit points, construite par l’expérience

Parce qu’il n’y avait pas initialement de projet global de type "ville numérique", l’action publique s’est développée en partant des acteurs qui petit à petit s’impliquent, dans une appropriation sociale du multimédia qui croise innovation et lien social avec le souci de ne laisser personne de côté.

L’expérience de Brest s’est construite dans un modèle participatif qui a évolué progressivement du « faire avec » à la co-construction dans une démarche progressive impliquant et valorisant les acteur-ice-s locaux, la mutualisation et la coopération dans un travail en réseau à la façon du libre et des réseaux sociaux.

Dans la fin des années 90, internet arrivait dans la société tout était à créer, pour une politique publique d’appropriation sociale des outils du numérique et 15 ans après nous pouvons aujourd’hui expliciter des éléments de méthode basée sur une démarche collaborative ouverte. L’équipe chargée de construire ce nouveau service aura « appris en marchant ». Huit points caractérisent les enseignements qui pourraient être retenus de ce cheminement. [1].

« Faire avec »

Dans la seconde moitié des années 1990, l’Internet était encore un outil neuf et mal apprivoisé. Le premier enjeu a été de construire un réseau en proximité de ponts d’accès publics à internet les « papis ». Comme il n’était pas possible créer des dizaines de lieux nouveaux le choix a été fait de s’appuyer sur les lieux d’accueil du public existants. Et petit à petit, maison pour tous, centres sociaux, patronages laïques, lieux associatifs ont intégré l’accès public accompagné dans leur politique ordinaire et ont construit un réseau qui compte aujourd’hui 104 papis sur la ville de Brest. Il est important de prendre en compte le temps long de l’implication des structures, puisqu’il aura fallu attendre douze ans pour que le dernier équipement de quartier rejoigne le réseau qui compte maintenant une grande variété de lieux municipaux et associatifs, des bibliothèques aux douches municipales en passant par les Restos du Cœur.

Rendre l’Internet accessible à tous en proximité et dans le lieux habituels des usagers n’a pu se développer que par une démarche du « faire avec » qui co-construit un service public dans le temps long de l’appropriation des acteurs associatifs et publics. Et aujourd’hui ce sont des centaines de personnes qui ont intégré cet usage des outils du numérique et de l’accompagnement des personnes dans leur pratique professionnelle ou associative.

« Être en attention »

L’appel projet annuel qui soutient chaque année une trentaine d’initiatives témoigne d’une richesse d’envies de faire dans la ville. Bien que la plupart des propositions soient retenues dès lors qu’elles s’inscrivent dans les objectifs d’appropriation sociale d’expression et d’innovation d’usage le bilan réalisé il y a quatre ans montre que 90 % des projets sont développés favorisant de multiples actions autour de l’expression, du lien social, du travail en réseau et de la prise en compte des personnes éloignées des outils du numérique.

Cette attention portée aux « envies de faire », crée une vraie dynamique de territoire et a fortement contribué à l’implication des acteurs dans cette politique publique co-construite.

Donner à voir

Il est important de valoriser celles et ceux qui s’impliquent. Donner à voir, rendre public les initiatives n’est pas habituel dans la culture des collectivités où les appels à projet, les subventions sont souvent traités au sein de petits groupes, et juste mis dans une liste au conseil municipal. Nous avons pris le parti que ce qui est intéressant pour la ville, pour l’association était aussi intéressant pour d’autres acteurs à Brest ou ailleurs. Les projets sont rendus visibles en étant publiés sur le magazine hebdomadaire a-brest. Leur diffusion est à la fois un moyen de valoriser le travail de leur auteur et de susciter la collaboration d’usagers qui auraient eu une idée proche. « Donner à voir », c’est créer un climat de confiance et un effet d’entraînement.

Cette démarche volontariste encourageant l’écrit public est un choix. Chaque utilisateur du site www.a-brest.net peut ainsi contribuer à enrichir la palette éditoriale déjà constituée. Prendre la parole en publiant un articles n’est pas évident et il a fallu des dizaines d’ateliers d’accompagnement à l’écrit public (autour du Ba Ba de l’écriture journalistique) pour accompagner les acteurs et les amener à s’exprimer par un article sur le web. Et finalement cela fonctionne, une dizaine d’articles sont publiés chaque semaine, de nombreux projets ont essaimé, de multiples contacts ont pu être pris et la dynamique de l’écrit participatif s’est élargie à des dizaines de sites associatifs et à 6 autres sites municipaux (égalité femme-homme, participation et conseils de quartier, solidarité internationale, action sociale, projet éducatif local, économie sociale et solidaire ..). Ici, même si les écrits sont modérés à priori, seule une part infime des mille articles publiés chaque année est in fine sujette à modération.

Mettre en communs

Ce climat de confiance et cette volonté forte de co-construction est plus efficace lorsqu’elle s’appuie sur un souci du bien commun.

Le premier projet qui a été co-construit est un CD rom « Bureau Libre -Free Eos collection d’outils de bureau en logiciel libre permettant à chacun de traiter texte, son ou photo de naviguer sur le web d’échanger des mel en utilisant des logiciels libres. Par l’implication de dizaines d’acteurs tout un réseau s’est constitué qui a permis la diffusion à 300 000 exemplaire de ce CD distribué par exemple à chaque étudiant de première année des 4 universités de Bretagne.

Petit à petit cette logique des biens communs s’est diffusée dans la ville et au pays de Brest avec le choix de licence creative commons pour les sites participatifs, les médiablogs, les sites associatifs permettant la réutilisation des contenus tel la photothèque collaborative un Zef d’images.

Pour faciliter et diffuser la compréhension des enjeux et du comment faire des droits d’usages élargis nous avons organisé en 2009 de la première semaine « Brest en biens communs » renouvelée en 2011 avec une trentaine de partenaires.

Des exemples de réseau collaboratifs comme wikipedia, Tela botanica et Sesamath montrent aujourd’hui que collaboration et biens communs vont souvent de pair renforçant par cette double approche l’efficience du mode participatif ouvert.

Aujourd’hui de nouveaux projets émergent telle les cartes libres du pays de Brest, utilisée notamment pour la carte libre de Plouarzel co-construite et diffusée à tous les habitants ou pour un service de signalement d’incidents ou d’anomalies sur l’espace public proposé à l’écriture des habitants. L’expertise d’usages à travers les yeux de milliers de citoyens complète ici celle des agents des services pour une meilleur efficience du service public.

Et Brest participe au réseau émergeant des fablabs en bretagne qui reprend les idées du logiciel libre pour l’appliquer à la fabrication d’objets, de circuits dont la recette de fabrication est librement réutilisable

Outiller

Beaucoup d’acteur-ice-s de l’action sociale, de l’insertion, du vivre ensemble, ne sont pas toujours habiles avec les outils du numérique.

Écrit public, audio, vidéo, logiciels libres, pour accompagner cette appropriation, la collectivité organise chaque semaine des ateliers de formation aux outils du numérique. Ce dispositif permet, pour une charge modique (un cinquième d’emploi pour un atelier par semaine), de donner au plus grand nombre la maîtrise nécessaire pour être en mesure de contribuer.

Si l’on veut que les initiatives de développent il faut permettre aux personnes et aux associations de se familiariser avec des outils en évolution rapide : hier les outils de navigation, de traitement de texte aujourd’hui les réseaux sociaux, les cartes, la veille collaborative, les cartes heuristiques les applications mobiles, la visioconférence (une salle par quartier-et par commune de l’agglomération)..

A travers un projet de tiers lieu ouvert et (« cantine » , espace de co-working ..) nous allons relier acteurs associatifs, des services publics, de l’entrepreunarait et de l’innovation pour démultiplier ces lieux de formation et de découverte avec l’objectif de pouvoir proposer, à terme, une session quotidienne.

Relier

A partir de ce maillage d’une centaine de lieux d’accès, public ces centaines d’initiatives soutenus par l’appel à projet, ce souci partagé d’élargir les biens communs, les acteurs ont multiplié les rencontres et des projets collaboratifs ont pu se développer. Ce sont par exemple :

  • le carnet d’écriture collaborative wiki-brest sur le patrimoine et le vivre ensemble qui permet une écriture ouverte à la mode de wikipedia et sert de plate forme d’expression tel ces portails de journaux de quartier un portail pour l’archivage de l’ensemble de leurs numéros.
  • le portail des savoirs qui va, au printemps 2012 donner accès à l’ensemble des contenus cours et conférences numérisés autour de Brest.

La ville joue ici un rôle de fédérateur proposant les outils, reliant les acteurs pour un travail en réseau qui associe, relie et élargit les contenus numériques rendus accessibles

Coopérer

A l’école et dans nos collectivités, nous n’avons pas appris à collaborer de manière ouverte. Publier chacun sur le web est un premier pas qui valorise les personnes, co-produire est un pas supplémentaire, à côté de la maîtrise des outils numériques il est nécessaire d’apprendre à animer un projet collaboratif.

Les sessions Animacoop (une centaine d’heure en formation ouverte et à distance sur son projet collaboratif) mise en oeuvre deux fois par an permettent d’outiller les personnes en matière de méthodologie.

Petit à petit cette formation des acteurs porteurs de projets collaboratifs diffuse une culture du « faire avec » du « donner à voir », des biens communs, et des pratiques collaboratives au pays de Brest. Cet aspect est déterminant si on souhaite un passage à l’échelle de cette démarche.

Et en 2012 nous allons passer de la formation d’un animateur autour de son projet à la formation de têtes de réseau pour diffuser l’animation collaborative au sein d’un réseau qu’il soit thématique (développement durable, économe sociale et solidaire, tourisme ..) ou territorial (collectivité, entreprise, service public local ..) Cette diffusion d’une culture collaborative est essentielle pour toute collectivité qui souhaite s’engager dans une démarche collaborative.

Et nous donnons rendez-vous

  • sur le réseau anime-fr pour élaborer ce savoir faire des pratiques collaboratives dont nous avons besoin
  • et au prochain Forum des usages coopératifs pour échanger sur le comment faire de ce passage à l’échelle de la coopération et des biens communs

    qui rassemble déjà plusieurs centaines de réalisations.

    Il s’agit non seulement de donner à voir en favorisant la diffusion , de relier pour apprendre ensemble et s’entraider mais aussi de mettre les porteurs d’innovations qui le souhaitent en capacité de devenir les « consultants » qui décriront non seulement leur projet mais le pouvoir faire qui permettra à d’autres territoires et réseau de s’approprier cette innovation. Une sorte de passage à l’échelle à construire en passant de l’agir en pouvoir d’agir.

    Et je suis persuadé que ces pratiques collaboratives, qui commencent à essaimer à travers toute la France, sont à la fois très efficaces et très agréables. La coopération quand on y a goûté il est difficile de revenir en arrière !! Elles permettent d’avancer ensemble, de s’enrichir mutuellement, et favorise la créer du lien social dans un climat de confiance base que la reconnaissance des acteurs et la transparence.

    Michel Briand, conseiller municipal en charge d’internet et de l’expression multimédia à Brest

L’adresse originale de cet article est https://www.a-brest.net/article9959.html

[1Ce texte est construit sur la base de l’intervention réalisée aux Entretiens Territoraux de Strasbourg en décembre 2011