Écritures publiques et territoires en réseau

, par  Michel Briand , popularité : 14%

La ville de Brest a adopté depuis plusieurs années la culture ouverte. Fondée sur l’écriture publique et le partage des informations, cette politique a déjà donné lieu à une série impressionnante de projets. La synergie positive créée ainsi ne manquera pas d’attirer l’attention.

Un article publié le 15 mai 2013 sur a-brest

Un texte écrit pour la revue A.D.B.S "Documentaliste-Sciences de l’Information"

et publié dans l’article : Ginet Pierreet al., « L’information au service du territoire »,

Documentaliste-Sciences de l’Information, 2012/4 Vol. 49, p. 26-43. DOI : 10.3917/docsi.494.0026.

Au fur et à mesure de la diffusion des outils numériques, de nouvelles formes d’expression se développent. La ville de Brest a choisi d’accompagner les sites participatifs tels que médiablogs, wikis, veilles partagées pour « donner à voir », valoriser les personnes, apprendre à coopérer et mutualiser.

L’écrit public pour mettre en valeur les initiatives

Dans une délégation qui reliait citoyenneté et nouvelles technologies, la Ville a voulu construire avec les acteurs concernés une politique publique qui favorise une appropriation sociale du numérique. L’écriture publique, considérée comme l’outil de notre démarche du « faire avec », traduit la co-construction de cette politique. Cette transparence, qui donne confiance, a permis le développement d’un réseau de 105 points d’accès publics à Internet (les « PAPI ») à proximité des habitants, dans des lieux qu’ils fréquentent déjà [1].

Sans les blogs, wikis ou réseaux sociaux, l’écriture ouverte à Brest se limitait à rendre visible ce qui était discuté et proposé. L’usage du système de publication Spip, séparant l’écriture de la mise en forme, a permis d’initier en 2003 les sites municipaux participatifs tel « a-brest.net ». Ce choix d’un système de publication ouvert sans « maître du Web » est fondateur : chaque acteur de la collectivité, chaque association qui développe un projet est invité à le présenter.

Aujourd’hui, le site compte plus de 10 000 articles publiés dans une lettre hebdomadaire diffusée à 1 500 abonnés. Pour ceci, l’organisation de dizaines d’ateliers d’écriture ont permis de sélectionner les rédacteurs chargés de présenter les 40 projets soutenus chaque année et écrire les comptes rendus de réunions des conseils de quartier [2].

Avec le soutien de l’hébergeur associatif Infini [3], des dizaines de sites ont ainsi diffusé lentement dans la ville une culture de l’écriture ouverte. Aujourd’hui, des dizaines d’associations alimentent des sites participatifs sur la solidarité internationale, l’action sociale, [4], mais seules 8 délégations ont opté pour une écriture ouverte. Peu de villes ont fait le choix de l’écriture participative : pourtant, à la différence des débats enflammés sur des listes ou forums, elle ne génère pas de conflit. Publier un article reste un acte fort. À la différence de l’écriture institutionnelle plus formalisée, cette écriture publique contribue à la reconquête de l’estime de soi des personnes.

Du médiablog à médiaspip : importance de l’accompagnement et des outils libres

C’est du projet des « Trotteriou », les webreporters des lycées de la cité scolaire de Kerichen, qu’est né le projet Médiablog, un développement spécifique (en logiciel libre) pour accompagner l’expression multimédia dans la ville. De nombreux projets multimédias figuraient dans l’appel à projet annuel mais réaliser un CD ou quelques vidéos ne permet pas de les rendre visibles et de les partager. La plate forme Médiablog, reprise par la région pour une trentaine de lycées, propose un support à toutes les initiatives de webradio et de webTV [5].

En expliquant les droits d’auteur associés à la création, l’animatrice du projet a mis en valeur l’élargissement des libertés d’usage permis par les licences Creative commons si bien que la très grande majorité des publications sont sous une licence qui en permet la réutilisation.

L’accompagnement des projets et la mise à disposition des outils sont importants pour faciliter la diffusion dans la société civile. L’hébergeur Infini et la Maison du libre proposent une ferme de services basés sur des logiciels libres : blogs (wordpress, spip, médiaspip), wikis (médiawiki), cartes ouvertes, listes de diffusion, adresses mél ouvertes à tout habitant ou association.

Wiki-brest et le chemin de l’écriture collaborative

La dynamique des PAPIS, des projets en réseau, des ateliers - temps d’apprentissage et de rencontres - constituent un terreau fertile de projets collaboratifs. Dans la logique de Wikipédia - une écriture ouverte à tous produisant des biens communs -, Wiki-Brest, carnet d’écriture collaborative sur le patrimoine et le vivre ensemble au pays de Brest a été lancé. Page vide en 2005, Wiki-Brest propose aujourd’hui des milliers d’articles écrits par des centaines de personnes. Comme pour l’écrit public, des dizaines d’ateliers ont été nécessaires pour impliquer habitants et associations. Sur cette plate-forme, les journaux de quartier donnent à voir leurs anciens numéros, les patronages laïcs racontent leur histoire, des personnes retracent une tranche de vie, reconstituent un bâtiment disparu ou un événement, etc.

Les différents types de contributions sur Wiki-Brest

  • Une encyclopédie du pays de Brest

Les contenus sont de nature encyclopédique. Cela nécessite la construction de savoirs structurés : rigueur dans les démarches, contributions collectives et exigeantes qui nécessitent du temps, discussions des objectifs communs et de la structure de l’article.

  • Les carnets de la mémoire d’un territoire

Ces écrits permettent une plus grande liberté de rédaction et de contenus : contenus à caractère plus narratif, approche de type plus « témoignage ». On peut alors y intégrer des contenus de manière plus ouverte et moins contraignante, plus vivante et personnelle.

  • Différents types d’écrits

En dehors des articles encyclopédiques et des témoignages, Wiki-Brest accepte des écrits sous diverses formes : chanson, poème, recette de cuisine... afin d’assoir son identité culturelle.

Le Forum des usages coopératifs s’est inspiré de l’écriture collaborative comme méthode de travail pour mettre à disposition textes et études avec plusieurs dizaines de wikis thématiques référencés sur la plate forme « Wikis au pays de Brest ». Cette écriture collaborative est facilitée par le choix du partage et des droits d’usage élargis, options de Wiki-Brest, du médiablog et des sites participatifs. La diffusion de cette culture du partage a débouché sur l’organisation, tous les deux ans, de la semaine « Brest en biens communs » qui a favorisé de nouvelles initiatives : des milliers de photos sur le pays de Brest ont été collectées sur Wikimedia Commons, le réseau des bibliothèques a ouvert un portail des savoirs pour les conférences données à Brest, des cartes ouvertes participatives ont été développées dans plusieurs communes et nous préparons « Brest ville wikipedia » avec l’envie de libérer et d’élargir l’accès aux œuvres du domaine public, à la musique bretonne, à l’histoire des plantes du conservatoire de Brest [6].

Coopération et innovation sociale ouverte

Le numérique nous confronte pour la première fois de notre histoire à l’abondance : copier un objet numérique ne coûte presque rien, produire à plusieurs est efficient… et agréable ! Mais nous n’avons pas appris à réutiliser, à « faire ensemble ». Les pratiques collaboratives sont une méthodologie adaptée à la gestion de l’abondance dans un monde marqué par la compétition, l’organisation hiérarchique et cloisonnée. Pour contribuer à diffuser cette culture de la coopération, nous organisons deux sessions annuelles de formation-action à l’animation de projets collaboratifs [7].

À côté de cette politique publique, nous voyons émerger des projets qui s’auto-organisent autour de blogs, wikis, réseaux sociaux. C’est le mouvement des « fablabs » qui, en moins d’un an, rassemble plus de 200 personnes en Bretagne et organise à Brest un « openbidouille camp », ou d’initiatives autour des territoires en transition ou de la consommation collaborative [8].

C’est ce nouveau champ de l’innovation sociale ouverte que nous souhaitons accompagner. La présentation d’une vingtaine de projets du numérique sur la plate-forme « Imagination for People » [9] sera élargie à une centaine de descriptions d’innovations dans les quartiers, autour des territoires en transition, des circuits courts, de l’économie sociale et solidaire. En amenant les acteurs à écrire et partager leurs projets, nous souhaitons montrer que l’innovation est abondante sur un territoire et inviter les acteurs à utiliser les méthodologies collaboratives.

Nous allons l’élargir à une centaine de descriptions d’innovations dans les quartiers, autour des territoires en transition, des circuits courts, de l’économie sociale et solidaire. En amenant les acteurs à écrire et partager leurs projets nous souhaitons montrer que l’innovation est abondante sur un territoire et inviter les acteurs à utiliser les méthodologies collaboratives.

Nous sommes ici au carrefour du « donner à voir » qui valorise, de licences libres qui favorisent la réutilisation et du choix de la coopération. De manière analogue au code d’un logiciel libre, nous allons essayer de décrire le code source d’une innovation (son « comment faire ») et proposer au porteur de projet de devenir expert de son savoir-faire.

Peut-être pourra-t-elle contribuer à une dynamique plus large d’innovation sociale en réseau qui contribue à une transformation des territoires prenant en compte les enjeux de solidarité, de transition écologique qui interpellent notre société ?

Michel Briand

conseiller municipal en charge d’internet et de l’expression multimédia

vice président de Brest Métropole Océane en charge de l’Economie Sociale et Solidaire

http://www.a-brest.net/auteur2.html