Interview de Romain Lalande (2) Les communs : coopération sincère et compostabilité
Dans Histoires de coopération nous poursuivons nos interviews d’acteur.ice.s de l’archipel Animacoop avec aujourd’hui Romain Lalande qui donne sa vision des communs et d’un partage sincère qui n’exclue pas, interpellant par là les licences dites à réciprocité qui proposent un partage sélectif.
Cet interview prolonge une première partie où il met le doigt sur l’importance de prendre soin de soi et des autres, de bien vivre au quotidien dans nos projets collaboratifs.
Rappel de son introduction dans le précédent article :
Romain Lalande, j’ai 27 ans et ce qui m’occupe est d’aider les individus à bien vivre leurs collectifs. En gros cela consiste en trois choses : donner des trucs et astuces, des éléments de méthode pour faire en sorte que tout se passe bien dans les groupes, que l’on ait envie d’y être et d’y rester. A cela on va ajouter des outils numériques ou d’animation qui peuvent nous faciliter la tâche, mais surtout apprendre à les choisir intelligemment.
Dans le monde de la coopération il y a des personnes qui, comme toi, font le lien avec eux les communs est-ce que tu pourrais expliciter ce que représente pour toi ce mot des communs que tu as cité ?
Les communs, je les pratique plus au sens des communs immatériels, des communs de la connaissance. Mais les communs actuellement m’interrogent plus qu’ils ne me font écho. J’ai eu une période notamment avec le temps des communs qui m’avaient rapproché du sujet et fait prendre conscience de plein de choses. La je suis plutôt dans une phase interrogative où je me questionne pas mal sur la place de la ressource dans les communs. On dit souvent que les communs c’est un triptyque : une communauté avec une ressource et une gouvernance. J’ai tendance à la comprendre un peu différemment : c’est plutôt des humains qui s’organisent et donc c’est plutôt du côté de la gouvernance que cela se joue et des règles que l’on va définir, de comment l’on va évoluer et qu’en fait la ressource n’est pas si centrale dans ce triptyque là et que même parfois elle peut ne pas exister ou être commune à plusieurs communautés.
Tu as participé à l’animation du Temps des communs qu’est-ce que tu as pu en retirer ?
Cela [1] m’a permis de rencontrer plein de gens bienveillants de plusieurs villes en France, et aussi de prendre de l’assurance sur le sujet en étant entouré de l’équipe de VECAM. J’ai découvert différentes expériences, cela m’a ouvert une diversité d’acteurs ; de pratiques et le lien entre initiative de terrain et chercheurs qui observent ces initiatives et le foisonnement de documentation et de ressources existantes. Ce Temps des communs a permis d’exposer sur la toile et mettre au même endroit un grand nombre de ressources sincèrement partagées qui ne sont pas forcément visibles en dehors de cela.
En écho, à propos de la ressource, ce que l’on partage comme connaissance,si on le partage sincèrement,je le vois comme quelque chose de flottant, c’est là et puis un moment un groupe se l’approprie, ce n’est pas ça qui fait le commun. Ce n’est pas poser une licence sur la ressource qui fait le commun, c’est le fait de s’en occuper derrière et cela je l’ai bien retrouvé en plusieurs endroits durant le Temps des communs.
En particulier je suis rentré en lien avec la formation qui s’appelle Animacoop, on a une ressource qui sont l’ensemble des contenus de formation produits depuis une dizaine d’années qui sont mis en commun au sens où ils sont partagés sincèrement et peuvent être réutilisés. On va les utiliser en tant que formateurs Animacoop pour animer la formation et les mettre à jour tous ensemble mais à côté de cela les contenus sont accessibles pour les gens qui sont formés et qui peuvent les réutiliser pour leur travail et leur faire prendre d’autres formes. Les formateurs aussi les réutilisent en dehors d’Animacooop dans leurs activités annexes. Je m’en sers par exemple dans d’autres cadres et je les transforme en les adaptant à d’autres contextes. Je crois qu’il y a là un endroit vraiment important dans ma représentation des Communs.
Tu travailles sur un projet de mutualisation de de ressources de coopération, Interpole " Les ressources mutualisées de ceux qui bossent sur la coopération !" [2] est-ce que tu peux nous en dire deux mots ?
C’est un peu l’étape suivante, Animacoop est un collectif de formateurs qui travaillent en archipel [3] cela veut dire que la seule chose que l’on a en commun c’est notre organisation et les ressources que l’on produit et que l’on met en partage au delà de nous même. Ce qu’on a observé, c’est qu’au fil des formations, au fil des rencontres, on a un grand nombre de ressources en dehors de cette communauté de formateurs. On s’est retrouvé avec un collectif qui n’était plus Animacoop mais qui était un collectif de personnes qui produisent des ressources mises en partage mais sans avoir d’endroit et de solution technique pour les interconnecter. Avec comme fil conducteur que tout le monde en bénéficie facilement, que l’on évite les doublons, que l’on puisse facilement enrichir les ressources des autres, que l’on ne se retrouve pas avec quatre ressources en parallèle d’un niveau de qualité égale et que l’on dise plutôt : « on prend le temps de mutualiser et d’aller augmenter ces ressource là en contribuant à ce qu’on a mis en commun ».
Interpolec’est une plate-forme en cours de définition, on n’a pas encore validé les objectifs ni la gouvernance, c’est mutualiser nos ressources et les augmenter d’un côté mais aussi les fragmenter pour mieux pouvoir les réutiliser. On ne met jamais une ressource en doublon et on s’oblige ainsi à augmenter ce qui existe déjà et donc à l’améliorer. D’un autre côté lorsque certains contenus sont trop denses ,on va les découper en petites briques, ou lorsque des ressources sont trop contextualisées, on va les décontextualiser pour les rendre plus facilement utilisables par d’autres personnes. On a cette intention, en mettant des ressources sur la plate-forme de les rendre le plus réutilisable possible, pas seulement du point de vue de la licence mais aussi dans la pratique réelle de réutilisation.
Tu parles de de partage sincère tu as aussi écrit un article avec Laurent Marseault sur la compostabilité » [4] est-ce que tu peux expliciter ce que tu entends par partage sincère à côté d’autres formes de de coopérations où les personnes partagent avec réticence ?
Pour exprimer le partage sincère, l’image que j’aime bien, c’est la différence entre un jardin public et un jardin privé auquel on accorde un accès public. Le jardin public est public et si on a envie d’y aller on n’y va, on ne se pose pas la question de qui y va. Le jardin à qui on met un vigile, potentiellement on peut lui donner des ordres et lui expliquer qui il laissera passer. Je pense que la différence elle est là.
Je crois que vouloir que nos projets nous survivent et que naissent des choses que l’on n’aurait pas fait nous-mêmes de nos partages c’est un peu affirmer l’interdépendance vis-à-vis des autres. On ne résoudra pas les problèmes du monde tout seul, on a besoin des autres pour avancer, pour faire des choses que nous même l’on n’imaginerait même pas faire. Pour que cela puisse se produire, si l’on ne veut pas rester entre nous dans des écosystèmes stériles il faut vraiment que ce que l’on met en partage puisse être réutilisé par d’autres et potentiellement par d’autres qui pensent complètement différemment de nous. Il faut faire sauter ce verrou qui consiste à dire « bon d’accord je partage, mais avec des gens qui pensent comme moi ».
La licence à réciprocité [5] en est un assez bel exemple, vous pouvez réutiliser mais à condition de ne pas faire de bénéfice via l’actionnariat, c’est à dire en gros à partir du moment où vous n’êtes pas une entreprise capitaliste. Sauf que du coup, cela veut dire que déjà on se coupe de tous les autres et de toutes les ressources mises en partage. On ne peut pas appliquer cette licence là à quelque chose qui a été partagé sincèrement sans barrière,donc on ne pourra pas s’appuyer sur l’existant et on va priver tous ceux qui sont dans des entreprises avec actions d’utiliser cela.
C’est, en caricaturant, une manière de dire, nous on sait ce qu’il faut faire et on le fait la bonne manière et puis vous comme vous ne faites pas la bonne manière vous n’aurez pas légitimité à réutiliser notre intelligence et l’énergie que l’on a mise dans ce que l’on a fait. Je trouve que c’est un gros manque de lâcher prise. Le fait que ces licences arrivent, je trouve que c’est basé sur les représentations de risques qui sont tout à fait illusoires le risque de se faire reprendre par une entreprise privée c’est un peu avoir les chevilles qui enflent. Google le jour où il veut produire une ressource, il lui suffit de claquer des doigts et de mettre quelques personnes dessus. A priori je n’ai pas trop peur du vol j’ai surtout peur que ce que l’on fasse ne serve à personne !
Est-ce que pour ces personnes ce n’est pas une étape vers une coopération plus ouverte et plus sincère ?
Cela dépend, une étape vers quoi ?du coup il faut se mettre d’accord sur le vers quoi ? Ce que je vois, c’est un monde qui va devoir répondre à de grands défis vu qu’il va s’écrouler et j’aimerais bien que cela se passe dans la non-violence, en sauvegardant un minimum de bien vivre. Alors se dire que ce n’est qu’une étape, c’est peut-être une étape vers le monde dont certains rêvent mais moi je ne suis plus militant, j’ai été militant au début. Il y a quelque chose qui m’a parlé il n’y a pas très longtemps j’ai entendu Patrick Viveret dire « le bien vivre est un objet d’expérience autant que d’espérance » dans le sens où le bien vivre c’est maintenant et tout de suite et pas savoir dans quelles conditions on pourrait bien vivre.
« ...il nous faut placer, au cœur des mouvements sociaux et citoyens le Bien Vivre comme un enjeu d’expérience et pas seulement d’espérance. Pour qu’une transition vers des sociétés du bien vivre soit possible il faut qu’il soit désirable. C’est parce qu’une anticipation par un nouveau type de mouvement social et citoyen de formes d’organisations écologiques, politiques économiques, éducatives et sociales aura créé à la fois ce désir et la démonstration qu’il est réalisable que des forces beaucoup plus nombreuses pourront en faire eux mêmes un projet »
Le bien vivre est un objet d’expérience autant que d’espérance", texte proposé en débat pour l’Université rebelle, citoyenne et solidaire et mis en ligne sur le site des convivialistes
J’étais à un événement sur l’urbanisme la semaine dernière et on a beaucoup entendu parler des solutions de la ville diversifiée idéalisée. En fait on a surtout parlé de la ville diversifié que les personne sprésentes souhaitaient imposer aux autres mais assez peu de la ville produite réellement par les gens. Les vrais gens, qui veulent plein de voitures, de l’argent, de la surconsommation qui n’était pas du tout les attentes des gens qui donnaient leurs solutions ce jour-là.
La coopération a cette vertu là. Si on veut aller vers une société du bien vivre de vraiment se dire d’accord pour que les gens prennent la parole et que potentiellement ils ne pensent pas comme nous. Mais il ne faut pas vouloir qu’ils prennent la parole juste pour entendre ce que l’on envie d’entendre. Parce qu’à partir de là, on produit juste l’inverse, on contribue à ne pas donner confiance aux gens dans la coopération et dans ce qu’elle provoque. Si on laisse les gens s’exprimer et qu’ils décident quelque chose qui ne va pas dans le sens de la société que l’on imagine nous, au moins ils auront eu le sentiment justifié d’avoir une vraie capacité à agir et décider quelque chose. Et une fois que l’on voit que notre idée s’applique vraiment parce que l’on est dans un vrai processus collaboratif c’est plus facile d’imaginer un monde plus joli et de ne pas rester bloqué sur « et bien des voitures il en faut bien , vous avez vu on ne peut rien y faire ».
Protéger les ressources super géniales mais qui ne pas sont réutilisables par ces gens qui pensent qu’on ne peut rien y faire est tout l’inverse de ce qu’il faut faire. Jamais on ne pourra infuser dans leur monde si les ressources pour que le monde aille mieux ne sont réutilisables que par les gens qui qui font déjà en sorte que le monde aille mieux. Ca voudrait dire échanger avec les autres dans le seul but de les convaincre de nos solution et c’est une coopération biaisée, non sincère, basée sur une écoute non-transformatrice. J’ai en ce moment de gros questionnements sur ces questions-là.
Comment vois-tu le développement des communs sur un territoire ?
Le mot commun n’est pas beaucoup utilisé à Tours. Il y a pas mal de projets collectifs autour de l’énergie, d’une monnaie complémentaire (La Gabare) il y a des Amap, un café associatif qui s’appelle le court-circuit qui est monté en Scop, une salle de spectacle qui était vouée à la démolition et qui est reprise en SCIC Ohé du bateau avec l’idée de ramener la culture en ville avec une salle qui est gérée par des artistes, des citoyens et des associations. On voit plein de communs mais qui ne s’appellent pas eux-mêmes des communs. On voit beaucoup de projets qui font inter agir différents types de personnes que ce soient les utilisateurs finaux des services, des professionnels, des militants qui arrivent à travailler ensemble et produire des choses pour le territoire. C’est intéressant en terme de collectif et on est assez riche de cela.
Est-ce que tu penses que ça serait utile que les gens se réapproprie ce terme de communs ?
Je ne sais pas .. J’étais à l’université des mouvements sociaux cet été et cela m’a beaucoup posé question, la place que l’on avait là-dedans en tant que mouvement des Communs. On était tous en parallèle j’ai l’impression que les communs étaient quasiment un thème en soi à côté des thèmes mouvements sociaux, protection des salariés, solidarités internationales.. . Chacune de ces thématiques était rassemblée et il y avait des communs qui étaient là saufs que les communs étaient les seuls à dire « mais nous on est transversal » et cela me gêne assez. J’ai l’impression que l’on a envie d’aller infuser les communs à des gens qui n’en ont pas besoin.
Je trouve que l’endroit où les communs auraient un sens plus global c’est justement dans la coopération,les capacités des gens à agir en collectif et cela est effectivement transversal aux mouvements sociaux à tous ceux qui veulent agir en collectif. C’est sur les ingrédients qui permettent la gouvernance des Communs qu’il faut axer nos efforts de contamination. Il y a beaucoup d’éléments de gouvernance des communs qui ont été décrits et qui mériteraient d’être pris dans beaucoup d’endroits. La notion de communs dans l’absolu peux être calquée sur plein de choses mais le revendiquer en tant que terme est difficile il est trop éloigné de plein d’autres vocabulaires, la coopération, les pratiques collaboratives sont des choses qui parlent davantage.