Internet, facteur d’innovation sociale entretien avec Michel Briand
La cité se caractérise aujourd’hui par un entrelacement complexe de réseaux, en partie dessinés par le numérique. Comment sont aujourd’hui administrés ces territoires d’un type nouveau ? Comment l’acteur public se positionne-t-il dans la reconfiguration du jeu d’acteurs ? Dans quelle mesure peut-il accompagner/impulser une politique d’innovation globale touchant l’ensemble de la population ?
Un article, entretien avec Michel Briand publié dans le cadre du dossier "Vers une structuration politique des territoires numériques ?" réalisé par Ludigole 17 mars 2010
Au-delà de l’e-administration, parfois prometteuse d’une démocratie de proximité qui n’est pas sans poser des contraintes dans sa mise en œuvre, des projets structurants sont développés sur le territoire, que le numérique permet de mener. La métropole brestoise s’appuie ainsi sur Internet comme outil de structuration de la politique de la ville et plus globalement de sa politique sociétale.
Michel Briand est conseiller municipal à Brest, en charge d’internet et du multimédia, et vice-président de Brest Métropole Océane en charge de l’Economie sociale et solidaire et de l’aménagement numérique du territoire.
Claire Huberson : Vous mettez en place depuis plus de 10 ans des projets de territoire où les TIC jouent un rôle important, quel pourrait être le bilan prospectif de cette politique ? Qu’est-ce qui a permis d’avancer sur ce projet, quels ont été les obstacles ?
Michel Briand : Le projet brestois a été mis en place dans le cadre d’une délégation « Démocratie locale, citoyenneté et TIC » et se prolonge aujourd’hui dans le cadre « Internet et expression multimédia ». Ce service de la ville a pour objet l’appropriation sociale des outils de l’internet et du multimédia et le développement des usages innovants et du lien social.
Les changements culturels au sein d’une société supposent un temps relativement long, dès lors qu’il s’agit de changements humains et de culture d’organisation qui modifent les schémas « traditionnels » de l’action publique et du rapport aux citoyens. Ce temps est très long par rapport à la rapidité de l’évolution des nouvelles technologies. Il a par exemple fallu dix ans pour mettre en place cent points d’accès public à Internet (PAPI) dans la ville, et une dizaine de points sont encore en création chaque année. Cela signifie qu’en 2010 comme en 2000, certaines personnes sont toujours prêtes à participer à la mise en place de l’accès public à l’internet, à la diffusion de ses outils et de ses usages… A partir du moment où l’on souhaite que ces outils et usages imprègnent les services publics et les réseaux associatifs, cela se fait sur un temps long (ici deux mandats électifs).
Cette mise en œuvre du changement s’appuie sur le choix d’une proximité, qui puisse impliquer un large éventail d’acteurs concernés : les associations, les « maisons pour tous », les centres sociaux, les bibliothèques de quartier... La mise en œuvre repose sur l’implication d’acteurs du territoire, relais et médiateurs auprès des habitants dans les lieux publics qu’ils fréquentent. Aujourd’hui nous avons beaucoup d’acteurs de l’éducation populaire ou de l’action sociale qui, petit à petit, se sont appropriés les outils du numérique. A titre d’exemple, le site participatif sur l’accès aux droits des personnes isolées et en précarité www.reperes-brest.net compte cinquante administrateurs acteurs associatifs ou du service public. La démarche de diffusion en grande proximité qui implique les acteurs de l’insertion et de l’éducation populaire comme médiateurs permet une appropriation par des personnes au départ assez éloignées de ces outils.
Deuxièmement, mettre en place un projet de territoire qui s’appuie sur les TIC est grandement facilité par le travail en réseau des acteurs
A Brest, les PAPI (dont l’équipement des différentes structures qui souhaitent devenir PAPI est géré par la ville) permettent que n’importe quelle structure qui accueille des publics et accepte d’installer un PAPI rentre dans le réseau et soit équipée par la marie.
Par ailleurs, ce réseau vit à travers un appel à projets annuel qui accompagne une trentaine d’initiatives, de multiples ateliers (en moyenne un par semaine). Ce mécanisme d’appel à projet est peu cher si on met en regard les 1 000 à 2 000 € de subvention et l’investissement que peuvent y mettre les personnes qui proposent un projet.
De la même façon, un atelier par semaine représente une charge équivalant à un tiers temps mais concerne 200 à 300 personnes qui acquièrent des compétences et rencontrent de nouveaux projets.
Seulement ce n’est pas dans les habitudes des collectivités territoriales de mettre en œuvre de tels outils : ouverture de papis , appel à projet et formation en attention aux demandes.
La collectivité doit se positionner dans une attitude volontariste et proactive, qui porte ses fruits sur un temps long.
Un élément complémentaire concerne l’importance du « donner à voir » et de la volonté de valoriser les initiatives. Tout projet est publié, les 7 sites participatifs initiés par la ville sont largement ouverts aux rédacteurs des associations, des services publics. Cela contribuer à créer une culture du « faire ensemble » et d’une confiance partagée facilitée par cette transparence de l’action publique.
Les sites participatifs liés initialement au service s’élargissent : avec le CCAS (centre communal d’action sociale) et les associations d’insertion, puis de l’économie sociale et solidarité (www.eco-sol-brest.net) et demain de la solidarité internationale (projets en cours). Dans le processus de création d’un site, les personnes concernées et qui veulent y contribuer sont associées à l’ensemble du projet. Elles sont invitées à participer à des formations en amont et à l’organisation du site
C. H. : Quelle explication pourriez-vous donner face au constat selon lequel très peu de villes mettent en place de véritables projets numériques structurants, et s’arrêtent souvent à la question de l’e-administration et sa promesse de démocratie de proximité ?
M. B. : Pour créer une démarche participative il faut que les élus et les responsables de services valorisent les acteurs locaux, leur donnent la parole et s’appuient sur eux dans une confiance progressive qui se construit au fur et à mesure des initiatives soutenues par la ville.
C’est un changement culturel à mettre en oeuvre. Cette logique est également à l’oeuvre dans wiki-brest, espace de collecte sur le vivre-ensemble et le patrimoine dans le pays de Brest, inspirée de Wikipédia .
L’ouverture et l’acceptation d’une multiplicité d’acteurs permet ainsi d’obtenir des contenus riches et diversifiés. Il faut toutefois rester modeste par rapport aux objectifs fixés en la matière. On en est juste à l’étape de diffusion (de 10 à 30 % des acteurs concernés) pour beaucoup de ces projets.
La démarche collaborative est une démarche politique, qui demande à être proactif. Elle est différente des approches focalisées sur l’e-administration plutôt développées dans une démarche de services enrichis.
L’absence de culture numérique des élus et responsables de services contitue aussi un frein au développement d’une politique de territoires. Si les élus utilisent les e-mails et consultent le web , ils ont encore peu la pratique de publier, de modifier une page ou d’utiliser les outils de veille ou les réseaux sociaux du web2.0.
Nous pensons aussi qu’il est important que les acteurs de la politique de la ville, du social,s’approprient eux-mêmes les outils numériques. Avec l’idée par exemple de créer un référentiel de compétences numériques à l’instar du C2I (certificat informatique et internet) des étudiants par exemple.
Les médiateurs de l’accès public ont ici un rôle à jouer et un programme de formation a été mis en oeuvre par la Délégation aux Usages de l’Internet pour permettre de développer les compétences des animateurs relais de proximité envers les acteurs professionnels et bénévoles du social, de l’insertion ou de l’éducation populaire.
Derrière la question des outils numériques dans la ville, se profile la problématique plus large de l’innovation sociale. En France, l’innovation sociale n’est pas considérée avec la même attention que l’innovation technologique par exemple, qui suscite beaucoup plus d’intérêt et de financement. A l’inverse, la Grande Bretagne a par exemple mis en place un centre de l’innovation sociale (the Young Foundation), de même que la Maison Blanche a récemment créé un Bureau de l’Innovation sociale. Les collectivités ne mesurent pas assez que la culture collaborative est aussi une culture du faire-ensemble qui produit une plus grande efficience.
Des initiatives comme Sesamath qui associe 8000 professeurs de mathématiques dans Sesaprof (espace pour enseignants) montre que la co-production et l’innovation sont possibles et attirent des milliers d’enseignants dans une démarche pourtant basée sur le bénévolat !
Toujours dans cette idée d’appropriation par les acteurs du territoire et d’innovation sociale, le pays de Brest accompagne aujourd’hui les initiatives autour des cartes citoyennes. Associations et citoyens s’approprient des fonds de cartes et co-produisent des contenus qui valorisent le territoire, aident à la transition vers un développement durable et améliorent les services publics.
Confrontée au problème de la mise à jour et de l’édition du plan communal, la commune de Plouarzel a par exemple décidé de mettre en place des « Cartes libres » auxquelles peuvent contribuer services municipaux, associations, habitants… et qui sont mises à disposition du grand public pour consultation. Nous pouvons également citer le projet « Carte ouverte » à Rennes qui répertorie les initiatives permettant de réduire l’empreinte écologique de la ville.
L’ouverture des données permet ainsi l’invention de nouveaux services et usages. On pourrait par exemple répertorier les panneaux publicitaires à l’entrée des villes pour en vérifier la légalité, signaler les dysfonctionnements dans la ville...
A la différence d’une lettre au maire qui est alors seul au courant ; avec ces informations publiées sur le web, la sollicitation devient publique.
Les données publiques ouvrent la voie à un nouveau dialogue entre élus, services et habitants et pourquoi pas à de nouveaux services imaginés par les acteurs de la ville, habitants, associatifs et entrepreneurs de la ville connectée.
Michel Briand
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