Monique Argoualc’h, coopérer en attention, avec des élèves en dispositif relais
Bonjour Monique est-ce que tu peux te présenter
Je m’appelle Monique Argoualc’h, j’ai été enseignante pendant une quarantaine d’années et depuis deux ans je suis en retraite professionnelle. Dans mon parcours d’enseignante j’ai quasiment tout le temps travaillé avec des élèves pour qui l’école c’était compliqué, que ce soit en classe de perfectionnement, Segpa, puis en classe relais.
En prenant en charge temporairement des collégiens en difficulté, les dispositifs relais améliorent le bien-être de ces jeunes et favorisent leur resocialisation. Les méthodes d’enseignement y sont généralement plus actives et individualisées que dans les classes ordinaires. Les dispositifs peinent néanmoins à réinsérer durablement les jeunes dans leur parcours initial de formation.
un texte repris de la page Les pratiques éducatives et pédagogiques en dispositif relais
J’ai choisi d’arrêter le travail professionnel, j’aurais pu continuer mais déjà cela ouvre un poste pour quelqu’un d’autre et il n’y en a pas tant que cela ! C’était mon premier souci et puis j’avais aussi envie de faire autre chose. Je n’ai pas arrêté par lassitude du projet, qui m’a toujours motivé jusqu’à la dernière minute, j’ai bien aimé ce que je faisais.
Est-ce que tu pourrais te présenter avec quelques mots-clés sur la coopération ?
D’abord le doute : c’est quelque chose qui m’anime quand je dis doute c’est le manque de certitude ; l’envie de ré-interroger mes pratiques de chercher à être au plus près des besoins.
Le réseau : travailler avec les autres, pas seulement le réseau proche mais aussi un réseau élargi.
Le non-jugement : penser par exemple, par rapport aux élèves que c’est toujours possible, ne jamais baisser les bras, il y a toujours quelque chose à faire même si la situation est parfois très complexe.
Le partage de compétences, la reconnaissance des compétences de chacun
le faire ensemble, faire avec les autres
Les rencontres improbables créer le cadre, le contexte, l’opportunité pour que des personnes qui ne se côtoient pas dans la vraie vie se rencontrent et ensuite faire confiance.
Pourquoi t’es tu mise à la coopération ?
J’ai quasiment démarré mon travail, mes activités professionnelles en classe de perfectionnement et les premières personnes avec qui j’ai coopéré ou qui m’ont amenée à coopérer étaient les élèves. A ce moment-là je ne me rendais pas compte qu’il s’agissait de coopération, que je fonctionnais en mode projet. Etant donné le public que j’accueillais, refaire la même chose que ce qui était fait dans les autres classes c’était amener les élèves dans le mur, cela aurait reproduit les mêmes effets et aurait même ancré les difficultés. Donc, j’ai essayé de faire différemment. Très rapidement, on a mis en place des projets où les élèves étaient associés, actifs du début à la fin, on le co-construisait ensemble.
Et maintenant peux-tu nous raconter une ou deux expériences de coopération ?
Il y a le projet intergénér@tions pour lequel la classe relais ou le dispositif de relais était connu et reconnu. C’est un projet qui a duré de 2003 jusqu’au dernier jour d’activité en 2016. On a d’ailleurs terminé l’année par un atelier d’intergénér@tions.
Bienveillance, confiance, persévérance, exigence, pour raccrocher.
Les dispositifs relais (classes et ateliers) constituent un des outils privilégiés de lutte contre le décrochage scolaire et la marginalisation sociale de jeunes soumis à l’obligation scolaire.
« Il faut faire en sorte que les élèves retrouvent le plaisir d’apprendre, qu’ils retrouvent l’envie d’apprendre, pour nous, il n’est pas admissible, que pour trop d’enfants l’école soit un endroit où on souffre, où on se sent en échec. » G. Pau-Langevin
Extrait de la page de présentation du site, qui n’est plus alimenté mais reste consultable, et pour en savoir plus ...
Ce projet a permis à près de 250 élèves d’y participer et peut-être une centaine de personnes âgées. Les collégiens de la classe relais rencontraient deux fois par semaine des personnes âgées ou très âgées résidant dans une maison de retraite qui est devenue un EHPAD, et ensuite des personnes âgées voisines de la résidence sont venues, puis le bouche à oreille a fonctionné et nous avons accueilli aussi des personnes âgées d’autres quartiers de Brest. C’est la base du projet. A ce projet dès le lancement le directeur de la maison de retraite a participé il a été très moteur, ensuite une animatrice a pris le relais. Il y avait aussi l’association infini [1] qui intervenait pour la formation des élèves à utiliser Internet et les outils numériques.
La ville de Brest a équipé la maison de retraite en matériel informatique de façon à ce que l’accès soit simple pour les personnes âgées et elle a aussi financé par l’appel à projet annuel [2]les interventions de l’association infini.
Ensuite, le projet a évolué avec les outils et lorsque l’on a été amené à utiliser les tablettes, on s’est rapproché de Télécom Bretagne qui nous a apporté des compétences techniques avec la participation d’étudiants dans le cadre de leur projet ingénieur (en seconde année d’un cycle de 3 ans)
Il y a eu aussi d’autres partenaires l’école de design de Nantes qui est venue nous donner un coup de main pour créer des scénarios pour le robot Nao et puis le centre culturel Marc Orlan parce que les élèves réalisaient des interviews d’artistes en résidence avec des équipes de tournages qui étaient mixtes entre collégiens et personnes âgées. Ils préparaient ensemble les interviews et puis ensuite filmaient avec parfois une personne âgée qui était derrière la caméra. Des artistes sont aussi intervenus pour enrichir ce projet et laisser des traces notamment par de nombreuses vidéos qui sont en ligne.
une vidéo de Jean luc Roudaut et Monique Argoualc’h
et le second projet, un projet de coopération à distance ..
J’avais vu passer, parce que je suis présente sur les réseaux sociaux, le projet d’un collègue à Saint-Nazaire, en classe relais également, qui avait créé dans sa classe un compte twitter pour une héroïne d’un roman (Alice dans « L’Afrikaner de Gordon’s Bay » de C. Ferrey) et dont les élèves tweetaient au nom de l’héroïne @AliceEnRelais pour raconter le livre au fur et à mesure de leur lecture. On avait commencé à utiliser twitter en classe en 2012. J’ai montré ces tweets aux élèves qui ont posé des questions sur l’héroïne et je leur ai proposé que l’on pose directement la question à l’héroïne via twitter comme si c’était une personne physique. L’enseignant a trouvé cela très intéressant, cela enrichissait son projet, et cela s’est un peu diffusé aussi dans la sphère Twitter. Cet échange a fait que ses élèves ont été plus mobilisés. Cette coopération s’est faite à distance, on ne s’était par rencontré.
L’année suivante, il a proposé que l’on continue notre collaboration avec un projet de Twittphilo : il lançait une question philosophique ouverte avec ses élèves sur Twitter et nous (et d’autres aussi) on se saisissait de la question. Les élèves pouvaient répondre individuellement ou à deux ou trois et bien évidemment les élèves ont apporté les questions philosophiques à intergénér@tions. C’était assez étonnant d’entendre de réelles discussions entre des gens de 80 à 90 ans et des adolescents ! il y a par exemple une question qui me revient et qui avait été très discutée à l’atelier intergener@tions : « Pensez-vous que l’amour d’une mère peut tout supporter ? ». Et en plus il fallait se mettre d’accord pour écrire un tweet, un message précis avec la limite des 140 caractères. Et c’est ainsi qu’au bout de deux ans on a présenté au forum des enseignants innovants un projet commun : « Coopérer à distance » et je l’ai alors rencontré pour la première fois au bout de deux ans !
Qu’est ce qui te semble facilitateur pour la coopération ?
Il faut que cela soit simple du côté matériel et de l’organisation. Il y avait ainsi la proximité d’accès à la maison de retraite, on y allait à pied. Il y avait une salle qui nous était dédiée, on avait du matériel qui fonctionnait. Quand on a collaboré avec les étudiants, ils venaient au dispositif relais ou on allait dans leur école. C’est un des ingrédients, qui peut paraître peu important, mais si c’est compliqué pour l’organisation matérielle, alors cela va nous mobiliser et on ne sera pas disponible pour le reste.
Il faut aussi que l’on reconnaisse les compétences des différentes partenaires du projet. Il y avait par exemple les étudiants qui avaient les compétences techniques et ils cherchaient à réellement les partager avec les élèves. En retour les étudiants reconnaissaient les compétences des élèves de la classe relais en leur disant : « vous vous êtes experts en personnes âgées, vous connaissez bien les personnes âgées, vous travaillez régulièrement avec elles et nous on ne les connaît pas, vous connaissez leurs besoins, vous savez comment échanger avec elles, nous on a des compétences techniques qu’on peut vous apporter et les personnes âgées elles ont la connaissance du quotidien ». Donc reconnaître les compétences des différents acteurs de la coopération et faire confiance aux différents partenaires du projet.
Intergénér@tions, la rencontre,Monique Argoualc’h, TEDxSaintBrieuc
Et à l’inverse quels peuvent être les freins ?
Si des personnes n’ont pas d’élan, ne croient pas réellement dans les possibles du projet alors ce sera compliqué et il y a des personnes qui pensent que cela ne va jamais marcher. Je me souviens avoir tenté de collaborer avec une personne qui à chaque fois avait en tête et listait ce qui n’allait pas fonctionner, si on démarre ainsi c’est compliqué. Il est important de croire en ce qu’on fait, ne pas dire « ça ne fonctionne pas « , essayer de rebondir, être optimiste, réajuster le projet si besoin. Je disais souvent aux élèves : « Tant qu’on n’a pas essayé on ne sait pas si ça ne marche pas ! « . Il faut oser.
Un tel projet coopératif, c’est tout beau mais c’est souvent difficile pour que cela puisse être reproduit ailleurs ?
Effectivement, on ne peut pas transposer un projet comme il est ailleurs. J’ai l’exemple d’une collègue qui est à Bordeaux dans un collège et qui m’a contactée parce qu’elle voulait monter un projet en s’inspirant d’intergénér@tions. Plusieurs fois on a discuté, mais ce n’était absolument pas transposable en l’état, parce que l’environnement est différent, les partenaires ne sont pas les mêmes. Je me suis rendue à Bordeaux parce qu’elle était dans une galère d’organisation. La maison de retraite était à côté, il y avait des élèves en décrochage scolaire et puis aussi un cyber centre pour former les élèves ; donc nous étions sur une base qui semblait analogue. Mais côté matériel, pendant un an elle a attendu son matériel qui n’arrivait pas (probablement pas une priorité). Elle a pu commencer avec les tablettes du collège mais lorsque les élèves sont allés à la cyberbase pour une formation à l’utilisation enrichie d’internet, l’animateur n’était probablement pas investi dans le projet et a proposé des formations générales décontextualisées du projet. Et du coup cela ne fonctionne pas, c’est compliqué. Pour la rentrée prochaine ils espèrent pouvoir faire quelque chose mais ils vont changer l’organisation : ce sont les personnes âgées qui vont venir au CDI et cela va être le prof de techno qui formera les élèves. Elle avait prit les mêmes ingrédients qu’ici à Brest, je pense mais ce n’était pas transposable en l’état. Par contre cela peut par contre donner des envies, être le terreau d’autre projet. [voir à ce sujet l’article de Romain Lalande et Laurent Marsault "La compostabilité : pour un écosystème de projets vivaces ]].
Il y a un autre projet intergénér@tions qui fonctionne bien dans un lycée pro de la région parisienne où ils ont créé une micro-entreprise. Ce sont des personnes âgées du quartier ou de pas très loin qui viennent au lycée. Ils font payer leur intervention (organisation d’une micro-entreprise) et forment les personnes âgées sur toute l’année. Ils m’ont contactée et nous avons échangé sur le contenu de ce que nous faisions en atelier je leur ai montré les brevets car tous les contenus d’intergénér@tions sont en ligne et même si le projet est terminé, cela reste consultable sur nos sites.
Tu as participé à la création du réseau prof@Brest peux-tu en dire deux mots ?
Ce que je trouve vraiment intéressant, c’est son côté non institutionnel. C’est vraiment un espace-temps, un espace physique qui n’est pas figé et qui n’est pas organisé. Les profs qui viennent à prof@Brest, le font en dehors de leur activité, ce n’est pas du temps de préparation, ce n’est pas du temps institutionnel c’est autre chose. C’est comme cela que je vois prof@Brest, c’est un tiers-espace, c’est autre chose que ce qui peut exister. Déjà cela est intéressant, et puis il y a un mélange cela peut aller de la petite section maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur avec des enseignants, des acteurs de l’éducation populaire des personnels des services... On ne vient pas avec son étiquette, on vient pour échanger, pour créer, pour construire, pour chercher des informations ou en donner.
Le réseau n’a que quelques années et cela va prendre sa vitesse de croisière. Quelquefois on n’a pas été nombreux et je me dis que ce n’est pas important, il faut du temps pour que quelque chose qui ne soit pas habituel s’installe. Et on a vu lors des deux dernières rencontres qu’il y avait une dynamique, un plaisir de se rencontrer, d’essayer des choses, c’est convivial, on rit beaucoup et c’est décontracté.
Et maintenant justement on est plus dans le faire ensemble que dans la présentation d’une initiative ou d’un retour d’expérience. On avait apprécié cela dans la séquence sur la musique où on avait expérimenté en jouant quelques outils présentés. Pour le jeu sérieux « Survive on mars » c’était animé. Et la dernière fois on a travaillé ensemble pour présenter le réseau prof@Brest en découvrant un outil genially que nous présentaient Jean-Michel et Sandrine.
Comment amener encore plus de monde, c’est une l’interrogation que l’on a, il faut être patient, je pense. Mais on a vraiment envie d’animer un espace-temps, un espace qui n’est pas défini, modélisé, mais ouvert aux possibles. Cet espace-temps bénéficie aujourd’hui de l’existence de la coopérative pédagogique qui offre un lieu spacieux et convivial mais les rencontres prof@brest peuvent aussi se dérouler ailleurs. L’architecture du lieu est importante, cela agit sur les pratiques et cela ne peut que nous aider à faire différemment, à oser.
Voir aussi
– Monique Argoualc’h enseigner en dispositif relais sur a-brest, novembre 2016
– La médiathèque du Dispositif Relais sur ce mediaspip les vidéos se rapportant au Dispositif Relais sont toutes publiées.
– Twitter au dispositif relais