Interview d’Hélène Laxenaire : la coopération il faut la vivre pour la comprendre

, par  Michel Briand , popularité : 8%

Hélène Laxenaire documentaliste et formatrice à l’Institut de Florac de Montpellier Supagro nous parle de coopération, une coopération presque naturelle quand on est à Florac en hyper ruralité et que l’on travaille en réseau dans l’enseignement agricole technique.

Bonjour Hélène est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?

Je suis documentaliste et formatrice à l’Institut de Florac de Montpellier Supagro qui est une école de l’enseignement supérieur agricole et je travaille notamment à la formation des enseignants de l’enseignement agricole technique sur la thématique du numérique éducatif et des dynamiques collaboratives, notamment avec des outils numériques.

Et si tu avais quelques mots clés pour te définir quels seraient-ils ?

Collaboration, licences libres, numérique, participation

Comment en est tu venue à t’impliquer dans des projets coopératifs et les pratiques collaboratives ?

Je crois qu’il y a deux éléments principaux : le côté professionnel et le fait d’être situé à Florac.

L’enseignement agricole technique est très étendu : il représente l’équivalent de deux académies de l’éducation nationale mais avec des établissements répartis sur tout le territoire. Pour travailler ensemble, de nombreux réseaux ont été créés à l’initiative du ministère : des réseaux géographiques qui s’intéressent à un pays et des réseaux thématiques sur l’eau, la biodiversité etc. .. Faire travailler en réseau et à distance des profs de toute la France à distance sur une même thématique, cela ne s’improvise pas. C’est dans ce cadre que l’institut de Florac a été missionné par le ministère pour former à la coopération, avec les outils du numérique, les animateurs de réseaux. C’est ainsi, du fait de cette spécificité de l’enseignement agricole que Florac a développé la formation aux pratiques collaboratives.

Cette dimension collaborative fait vraiment écho à ce qui se passe ici, dans une petite ville de 2000 habitants au nord des Cévennes. Une ville qui est à 2h30 de route de Montpellier alors qu’on est juste à 160 km. C’est parce que le territoire enseigne aussi, que l’on apprend par le territoire qu’il y a eu ce choix de mettre un lieu de formation à Florac.

Florac (Lozère) - panorama sur l’église Saint-Martin et les contreforts du causse Méjean.
Travail personnel de Pierre Bona sur Commons

Ici on est isolé, en hyper ruralité dans l’un des départements les moins peuplés de France et les thématiques de collaboration à distance sont très importantes. Je vis sur ce territoire et comme l’on n’est pas très nombreux, les relations entre les personnes sont très fortes avec une solidarité et une entraide très développées. On est vraiment une communauté au niveau du territoire, où la coopération fait écho à ce que l’on vit et qui n’existerait pas ainsi si on vivait ailleurs. Et lorsque tu me parles d’une société qui n’est pas naturellement coopérative, ce ne sont pas des choses que l’on ressent forcément ici. On ressent une communauté forte qui fait que quelques soient les âges ou même quelques soient les opinions politiques, on est ensemble.

Est-ce que tu pourrais présenter l’Institut de Florac ?

C’est l’un des trois instituts de Montpellier Supagro, historiquement c’était le CEP, le centre d’expérimentation pédagogique qui a été fondé par des profs de sport dans les années 70 qui pensaient que l’on avait des choses à apprendre en étant spécifiquement à Florac.

Les thématiques ont d’abord été autour des activités de pleine nature et d’étude du milieu, de lecture du paysage, en faisant le lien entre le territoire et l’apprentissage. Et depuis les années 70 on forme également les professeurs de l’enseignement agricole technique sur tout ce qui touche à l’environnement et à l’agro environnement (on est dans le parc naturel des Cévennes). Pour tous les profs qui viennent se former sur le pastoralisme, sur l’environnement, on a juste à ouvrir la porte et on est sur le terrain. Sur les questions d’éducation à la responsabilité également quand on est au bout d’un filin en train de faire des APN les questions de responsabilité se comprennent bien au niveau des élèves. Là-dessus s’est greffée ensuite la problématique du numérique, du comment on travaille distance, une problématique liée, elle aussi, à notre territoire.

Bandeau du site de l’Institut d’éducation à l’ago-environnement de Florac - Supagro Montpellier

Il y a dix ans, Supagro a été créé en nous regroupant avec l’Agro de Montpellier, l’école des agricultures du Sud à Montpellier et l’école du Merle qui forme les bergers en PACA. On a gardé la formation des professeurs de l’enseignement agricole en ajoutant deux formation initiales avec deux licences pro (en « L3 », les 3émes années) sur les domaines de l’éducation à l’environnement et de l’agro-environnement. Ce sont des personnes qui vont ensuite travailler à la charnière des deux : soit dans les milieux agricoles sur des questions environnementales, soit dans les parcs naturels sur les questions agricoles. On est une grosse quarantaine de personnes à l’institut avec des petits promotions d’une vingtaine d’étudiants. On est forcément petit parce qu’on est à Florac mais par rapport à la taille de la ville (2 000 habitants) , on est énorme !

Maintenant si tu avais à présenter un ou deux projets coopératifs auxquels tu as participé ?

De l’autre côté du mont Lozère, pas très loin en kilomètres, mais très loin en temps se trouvent des associations où des personnes ont ressenti le besoin de travailler ensemble, de se prêter du matériel, de pouvoir ce caler en amont sur les dates de ce que font les autres, pour ne pas organiser des événements en même temps et de savoir ce que les autres font. Ils ont demandé à ce qu’on les accompagne dans cette démarche là, pour la dynamique de groupe et également pour les outils.

Mont-Lozère Animations
Un réseau collaboratif au service des associations et des habitants

Cet outil collaboratif ouvert à tous permet :
 de rendre visible les animations associatives
 d’échanger sur les programmations de tous les acteurs associatifs des bassins de vie de la communauté de communes Mont-Lozère (agenda et événements)
 de mutualiser des moyens humains et/ou techniques (Les coups de pouce dans la rubrique "on fait ensemble")
 de proposer des solutions de transport (co-voiturage) pour circuler localement et se rendre sur les animations référencées dans l’agenda

Le groupe a cheminé et d’une formation sur comment on collabore, il est arrivé à la création d’une petite communauté et à la création d’un « wiki de territoire » [1]. Ce n’était pas cela l’objectif initial ni pourquoi on nous avait demandé de venir mais finalement le groupe est arrivé là-dessus et donc on les a accompagnés un peu techniquement mais surtout en termes de méthode. Ils ont une liste de diffusion et il y a un wiki territoire avec un agenda partagé. Ensuite pour les aspects techniques, on a laissé la main à des gens qui pouvaient le faire. Cela c’est au niveau notre territoire comment on a accompagné une dynamique

Est-ce que ce collectif se voit comme un commun ?

Je pense pas, je pense que culturellement, ils n’en sont pas là. Ils découvrent le fait de mettre des choses en commun, on a parlé des licences libres mais sans l’usage de ce terme.

Cooptic

A une autre échelle, Cooptic est un projet européen associant trois pays la France la Belgique et l’Espagne (Catalogne) pour la formation de formateurs à l’animation de réseaux.

A Florac, on formait déjà depuis plusieurs années des animateurs de l’enseignement agricole avec un accompagnement sur le suivi et le soutien à l’animation des réseaux. On était pour cela en interaction avec d’autres acteurs de l’écosystème de la coopération et notamment avec l’association Outils Réseaux et sa formation Animacop. Cooptic a pour objet de passer à l’échelle et de former ceux qui formeront à l’animation de réseaux. L’institut de Florac par sa structure et par une compétence acquise en ingénierie de projet européen était en capacité de porter ce projet Léonardo. C’était aussi l’occasion pour nous de formaliser des ressources pédagogiques dans un domaine qui progresse assez vite et où l’on n’a pas forcément le temps de finaliser les supports de formation. Autour de l’e-book nous avons pu prendre du temps autour de contenus qui n’étaient pas encore écrits et pour reprendre certains supports de formation. Dans une seconde phase les formateurs qui avaient participé devaient créer à leur tour des formations et à fonctionner, à terme en réseau international. Des formations ont ainsi émergées [2] mais à l’échelle nationale en France et en Belgique.

Ce projet nous a apporté une formalisation des ressources et une méthodologie de formation inspirée d’animacop en formation hybride (à distance et en présence). C’était la première fois que l’on mettait une formation hybride en œuvre alors que c’est quelque chose vers lequel on tend parce que Florac est un petit peu loin de tout et si 12 à 15 personnes peuvent venir en stage à Florac c’est peu par rapport aux besoins qui existent et ce sont des formations qui sont sur du moyen terme et se déroulent sur plusieurs mois. Cela nous a aussi apporté une intégration dans cet écosystème de la coopération et que l’on continue à nourrir et à développer.

Est-ce que tu penses que ces approches de coopération ouverte commencent à diffuser dans l’enseignement agricole ?

Le travail en réseau devient quelque chose de normal, d‘inscrit dans le paysage. Les réseaux sont toujours aussi vivants et vivaces. En administration centrale on est plus dans des logiques de validation des ressources, on ne peut pas partager ce qui n’a pas été validé. Et souvent les personnes en responsabilité sont encore éloignées de cette culture des pratiques collaboratives. Mais c’est en train de bouger, il y a une acculturation progressive qui se fait.

Aujourd’hui le mouvement des communs se développe mais il reste balbutiant dans le domaine de l’éducation qu’en est-il dans l’enseignement agricole ?

Pour parler d’abord de Florac, c’est quelque chose que l’on porte fortement : tout ce que l’on produit, si on en a la possibilité, est mis sous une licence libre. Parfois on est limité lorsque l’on l’on est dans un projet avec plusieurs partenaires parce que là ça demande un accord et l’un ou l’autre peut bloquer. On fait beaucoup de pédagogie autour des communs avec nos L3, on va leur en parler plusieurs fois dans les travaux qu’ils ont à faire.

On est aussi identifié sur cette thématique au niveau de l’établissement Supagro. Malgré un manque de culture partagée sur le sujet dans l’établissement, où l’on est plutôt habitué à penser en terme de brevet, les idées avancent et le premier MOOC réalisé l’a été sous une licence CC by sa avec l’adhésion des enseignants concernés.

Du côté de l’enseignement agricole, comme dans l’éducation nationale en général ce problème du partage n’est pas facile avec la fois les réticences pour publier « ce qui n’est pas assez bien » un travail qui n’est pas perçu comme suffisamment finalisé avec la crainte d’une évaluation négative et des réserves à partager de manière publique. Sur le plan en trois ans du Numérique éducatif dans l’enseignement technique agricole un des projets est justement de favoriser l’échange entre profs. Et là un des problèmes que l’on rencontre c’est que ce projet associe des établissements publics et privé avec des enseignants qui sont parfois réservés pour un partage avec le privé.

En fait le partage se passe beaucoup au niveau des réseaux. Les disciplines organisées en réseau arrivent beaucoup à partager à l’intérieur du réseau. On a ainsi une idée de avec qui on partage. Et dans les matières où ils ne sont pas organisés en réseau il y a beaucoup moins de partage, c’est un peu comme s’il mettait des choses dans le vide sans savoir ce que les autres pour en faire. Ce qui est intéressant c’est que le ministère s’empare de la question. Il y a déjà des plates-formes structurées avec des formats bien précis et un mode où une seule personne peut publier sur la plate-forme. Et là ce qui semble émerger du nouveau projet c’est que l’on serait plutôt sur quelque chose de plus ouvert et collaboratif.

Vous participez activement à Moustic quel est le sens de votre implication ?

Moustic c’est une rencontre qui est organisée tous les 2 ans à Montpellier sur les pratiques collaborative avec le numérique. Moustic était organisé de manière collaborative par un collectif et les rencontres se déroulaient elles-même de manière collaborative pour le faire vivre aux participants.

Notre place là-dedans est celle d’un acteur de l’écosystème. Ce n’est pas notre cœur de métier mais notre stratégie c’est de créer de l’abondance, un univers d’abondance autour de la coopération pour ensuite favoriser les échanges et la collaboration. Ce n’est pas forcément facile à expliquer à notre direction générale qui ne voit pas toujours le rapport avec nos formations.

Ce projet s’était créé avec un certain nombre d’associations comme outils réseaux, mais aujourd’hui on se retrouve être les seuls avec une structure constituée et à pouvoir mettre du temps de travail rémunéré dessus. Ce qui fait que cela devient un événement Supagro parce que l’on travaille toute la journée sur Moustic et lorsque le soir on demande aux bénévoles de suivre, ils ont un peu de mal à suivre. C’est quelque chose qui nous pose vraiment souci et il n’y aura sans doute pas de Moustic en 2019 ou pas sous la forme habituelle. On essaye de revenir à une forme qui soit vraiment collaborative.

Tant que l’on était un élément parmi d’autres même si l’on était un petit peu plus central du fait que l’on était les plus gros cela fonctionnait et dès lors que l’on devient l’élément principal et la seule structure ce n’est plus possible pour nous en tant que personnes impliquées dans Moustic parce que l’on perd le sens de ce que l’on voulait faire.

Qu’est-ce qui te semble une difficulté dans la coopération ?

Ce qui est difficile c’est qu’il faut le vivre pour le comprendre. Pour nous à Florac comme ce sont des choses que l’on vit déjà de toute façon on le comprend.

C’est la crainte de « je donne et je ne recevrai rien en échange » et la difficulté d’avoir confiance dans le collectif. Comme à court terme les stratégies égoïstes parfois fonctionnent mieux, il faut quand même se sentir en sécurité pour pouvoir donner sans attendre forcément un retour immédiat et avoir confiance dans le fait que le retour arrivera façon d’une autre un peu plus tard, que cela nous fera du bien aussi. Dans se faire confiance à long terme, ce sont ces premiers pas qui sont difficiles. Certaines personnes qui ne sont pas en sécurité peuvent facilement revenir en arrière à la première anicroche.

Et ce qui est facilitateur ?

Il faut réussir à mettre les gens en sécurité et je pense que c’est pour cela que les matières de l’enseignement agricole techniques qui partagent davantage le font parce qu’ils sont déjà organisés en réseau et se connaissent déjà physiquement ou au moins de nom à travers les forums. Dans un climat de confiance, ils peuvent plus facilement partager.

La coopération, il faut déjà l’avoir expérimenté dans son être. Chaque fois que l’on doit faire de la communication sur Moustic, les gens ne comprennent pas ce que l’on fait sauf s’ils l’ont déjà vécu.

Sur la coopération est-ce qu’il y a des lectures des personnes qui t’ont inspiré ?

Sur la coopération la première personne qui m’a « retourné la tête » c’est Laurent Marseault, et au fil des rencontres il m’a beaucoup inspirée puis il m’a fait rencontrer ensuite Jean Michel Cornu.

Quelqu’un aussi dont les lectures m’inspire beaucoup dans le domaine du numérique se sont les articles d’Hubert Guillaud dans Internet actu.

Il y a aussi Lionel Maurel avec son blog –S.I.Lex

Sur cette question qui est tellement en mouvement ce sont pas tellement des livres qui m’inspirent que des articles lus sur Internet ou des lectures de blogs.
Et aussi dans le domaine de l’éducation un livre un peu plus ancien sur la classe mutuelle : d’Anne Querrien : L’école mutuelle, une pédagogie trop efficace ?, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005.