Interview de Claire Jussiau de Brest en Transition Citoyenne, "accepter de prendre les gens comme ils sont"
Brest en transition citoyenne est une vitrine des initiatives en transition au pays de Brest, voici une interview de Claire qui fait partie du groupe d’animation et qui nous parle de cette démarche, de son parcours, et de sa vision de la coopération où il ne faut pas tout attendre des autres, être au clair avec soi-même et où le don fait aussi du bien à soi…
Bonjour Claire est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle Claire Jussau, je fais partie d’un collectif sur la transition « Transition citoyenne en pays de Brest » et je suis assez impliquée dans le réseau associatif : l’ADESS, le pôle de développement de l’économie sociale et solidaire en pays de Brest, ou la monnaie complémentaire Héol. Dans ma vie professionnelle, je travaille sur la valorisation du patrimoine naturel et culturel essentiellement en Bretagne ; une activité qui est aujourd’hui hébergée dans une coopérative d’activités et d’emplois Chrysalideoù la coopération est au centre.
Si je te demandais quatre ou cinq mots clés pour te présenter quels seraient-ils ?
Je dirais collectif, citoyen, co-construction, projet et la confiance.
Qu’est-ce qui a fait pour toi, dans ta vie professionnelle ou personnelle que tu as fait le choix de la coopération ?
À l’école j’ai appris à coopérer parce que j’ai suivi à l’IUP de Besançon une formation universitaire pluridisciplinaire en aménagement du territoire où l’on travaillait en collectif, en groupe sur des ateliers professionnels avec des commanditaires. J’ai eu cette chance et je me suis rendu compte seulement après, que ce n’était pas le cas pour tout le monde. Pendant les les trois ans à l’IUP, je n’ai travaillé qu’en collectif, j’y ai eu une construction collective ; où c’était le groupe qui était noté dans l’évaluation. Dans le groupe il fallait apprendre à s’organise. Je me suis complètement retrouvée dans ce fonctionnement collectif où l’on travaillait sur des projets liés au territoire, où l’on comprenait que l’on est au service de quelque chose qui était plus grand que nous : le projet c’était quand même cela la finalité. Pour moi, cela été quelque chose que j’ai appris à université. Quand j’ai commencé ma vie professionnelle, J’ai découvert que le travail en collectif n’était pas une évidence pour tout le monde, alors que l’ayant largement pratiqué durant mes études, c’était simple. pour moi.
Et est-ce que tu pourrais présenter un ou deux projets collaboratifs auquel tu as participé ?
« Transition citoyenne en pays de Brest »
Pas de transition sans les citoyen(ne)s ! Contribuons à la construction de la société de demain, en donnant envie à un maximum de citoyens, citoyennes et de structures de s’engager dans une transition écologique, sociale, économique et humaine !
Citation de la page d’accueil
Je parlerai d’abord du collectif de la transition, qui est un projet en cours depuis 2014. Ce que je trouve intéressant dans le collectif de la transition, c’est que ce sont des questions qui me préoccupaient aussi dans le monde professionnel dans lequel j’évoluais. A l’époque, je travaillais à l’association « Brest à pied et à vélo » (Bapav) et on essayait de se relier de plus en plus en réseau avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire(ESS). C’est aussi Animacop, une formation à l’animation de projets coopératifs que j’ai suivie en 2012 qui nous a formé à des outils pour coopérer et où j’ai rencontré Christian Bucher et d’autres personnes des transitions.
Toujours est-il que dans ces années 2012 2013, avec l’ADESS, on avait identifié qu’il manquait le réseau brestois quelque chose au niveau de la transition citoyenne.On avait vu que cela marchait bien dans d’autres territoires peut-être parce que c’est du rural et que les gens se connaissent mieux et avec l’ADESS, et on avait initié une réflexion autour de cette thématique. Et puis chemin faisant, cette réflexion a été reprise en 2014 avec Benjamin qui s’est servi de l’appel national pour créer un groupe autour de la transition, dans lequel, tout naturellement , je me suis impliquée en poursuivant la réflexion engagée sur le territoire précédemment.
La transition est quelque chose d’extrêmement large et c’est un sacré challenge d’aborder cette thématique là sur un territoire avec une diversité d’acteurs qui est à la fois une richesse mais qui est tellement large que l’on peut vite s’y perdre. Nous avons eu tout un travail de réflexion sur notre posture : comment peut-on vivre une dynamique de projet citoyenne et non pas institutionnelle ? comment peut-on se positionner ?
Assez rapidement nous avons choisi d’être une vitrine de toutes les initiatives parce qu’il existe déjà plein de groupes qui, de près ou de loin se reconnaissent dans la transition. Et d’être dans un élan positif, on n’a pas vocation à contester des projets il y a d’autres qui le font bien et tant mieux.
Le groupe existe depuis 2014 on a créé l’association en 2015, on n’est pas énormément, mais ce que je trouve très intéressant c’est qu’il n’y a pas de leader, il y a un petit noyau dur que l’on a appelé le comité d’animation dans une gouvernance horizontale d’un espace de projets. C’est-à-dire que si tu envies d’utiliser le collectif pour mettre en place un projet vas-y, dans cette logique de on partage. Si à un moment donné donné tu veux agir en ton nom propre il n’y a pas de problème. Notre objectif c’est que les choses se passent, on n’est pas là pour revendiquer l’étiquette du collectif de la transition, ce n’est pas très important L’objectif c’est que les initiatives de la transition énergétiques sociétales.. soient plus visibles et que l’on soit dans une démarche positive.
Qu’est-ce que l’on fait concrètement ?
On s’est beaucoup interrogé sur comment fonctionner ensemble avec nos propres moyens. Il n’y a pas de salariés et la vocation c’est surtout qu’il n’y en ait pas. Notre modèle n’est pas de créer de l’emploi.
On a un site internet vitrine avec l’idée de relayer au maximum les initiatives positives du territoire. (un site sous licence libre pour que les contenus soient réutilisés par ailleurs).
On participe ou on initie des ateliers de réflexion. Ce sont des forum ouvert ou des des journées sur comment mieux faire ensemble. On s’est associé à l’ université pour les cours publics sur la ville de demain. On a participé dernièrement aux Science Hack Day parce que l’on se retrouve complètement sur le thème « Améliorons la ville demain »
A part développer les zones de gratuité, de donneries, on ne fait pas d’actions spécifiques parce que chacun est déjà dans des groupes plus spécifiques commeVert le jardin, les incroyables comestibles, ou Brest à pied et à vélo.
L’année prochaine on voudrait mettre en place un rendez-vous de la transition, où on inviterait les élus, avec l’écueil à éviter de ne pas devenir ensuite un outil de communication des politiques. Ce qui nous intéresse c’est la réflexion de fond et plutôt les engagements qui pourraient être pris par des élus de différents bords politiques parce que les transitions concernent tout le monde et ne sont pas réservées à une catégorie particulière. Avec un problème de fond : comment fait-on pour sortir de l’entre soi ? Brest transition citoyenne n’est pas très mixte socialement, on participe aux mêmes réseaux. Comment changer d’échelle arriver à construire un vocabulaire commun ? Ce n’est pas si simple quand je vois comment on peut se disputer dans certains réseaux pour réussir à ne pas s’entendre au final !
La vallée du Bois Ainaux
Le sentier « Secrets de vallée » vous plongera dans l’histoire de la vallée du Bois Ainaux : lieu privilégié pour vous reposer, vous connecter à la nature, jeu d’observation « chasseurs de traces », échappée belle en prairie…
citation reprise du site du pays de Fougères
En second projet, je présenterai « Le sentier « Secrets de vallée » un projet un peu plus ancien que j’ai menée en tant que professionnelle sur la valorisation du patrimoine naturel et culturel au pays de Fougères.. De 2012 à 2014, on a accompagné une collectivité pour valoriser une zone humide dans une démarche d’appropriation par les habitants. C’était une toute petite commune avec un projet sur le temps long. Deux ans, c’est un temps qui permet une dynamique de projet articulant les phases de diagnostic, de proposition, de réalisation et de suivi des réalisations ; un temps où on a pu et su prendre le temps pour tisser des relations de confiance.
J’ai toujours pris ce parti de préférer arrondir les angles et d’être une relation de confiance. La défiance coûte cher dans un projet. J’ai beaucoup appris cela via le réseau aussi en construction avec d’autres ? L’important, c’est que le projet aboutisse et s’il faut que je me remette en question et qu’il faut que je lâche prise à certains moment, je vais lâcher. Dans les exemples que je peux avoir autour de moi je trouve qu’il est très compliqué de rattraper des problématiques qui deviennent des problématiques humaines, du PFH.
Ce qui était bien dans ce petit projet avec la collectivité, c’est la relation de confiance entre nous le bureau d’études, les techniciens et avec les habitants. On était vraiment au service de la petite valorisation de la zone humide. On avait comme prérequis « de ne pas gaspiller l’argent public », on était vu en début comme un bureau d’études qui forcément coûtait cher à l’échelle du budget communal, (mais à notre niveau d’intervenant ce n’était pas la réalité). On a essayé de faire de l’économie de projet sans rogner sur la qualité. Cela s’est traduit par la construction d’un abri de manière participative où les habitants ont dit « nous on a les compétences ». L’urbaniste qui était avec nous a complètement joué le jeu en proposant de couler la dalle béton pour que les habitants montent la structure.
C’était un vrai projet avec des gens qui étaient contents d’être là et qui nous ont dit à moment « ce n’est plus la peine de venir va s’organiser sans vous ». On avait initié le projet de construction mais pour aller monter des bouts de bois, on n’était pas du tout les plus outillés. Il y a eu une vraie appropriation où chacun avait sa place alors que l’on travaillait sur une zone humide où les habitants au départ étaient en colère est-parce que ce qu’ils voulaient au départ c’est que l’on crée un étang pour aller pêcher. Valoriser une zone humide pour en faire un sentier d’interprétation était perçuc comme mettre de l’argent par sur les fenêtres, parce que la zone humide n’était pas du tout appropriée, n’était pas du tout aimée.
Un projet qui a reçu le label tourisme handicap, et est présenté sur le site du pays de Fougères.
Il y a un projet qui s’appelle le Transiscope qui recense les initiatives alternatives positives est-ce que vous avez envisagé de compléter cette carte ?
Ici la carte des initiatives de l’économe collaborative en Bretagne établie par Collporterre et présentée sur Brest en transition citoyenne
Une personne du collectif travaille sur une carte des acteurs et on a envie l’année prochaine de réfléchir à comment articuler cette cartographie que nous commençons à faire à notre échelle avec ce qui existe déjà. Comment fait-on pour regrouper quand souvent chacun est attaché à son outil ? Parfois c’est compliqué. De mon côté j’ai très peu de relations identitaires avec un outil mais je me rends compte dans les manières de travailler que ce n’est pas toujours si simple. Ce n’est même pas de la mauvaise volonté, on comprend bien la logique d’un outil et on a des difficultés à comprendre celle d’un autre outil, parfois c’est seulement technique.
Qu’est-ce qui te semble difficile dans la coopération ?
Ce qui me semble difficile dans la la coopération c’est déjà d’accepter de prendre les gens comme ils sont. Il faut que chacun soit au clair avec lui-même, on ne peut pas tout. La première chose c’est de fixer des règles hyper simples qui conviennent aux différentes parties. Il ne faut pas attendre tout les autres, ne pas avoir des attentes démesurées sinon tu t’exposes à des déceptions.
Il faut travailler ce côté humain. Cela me pose souvent problème quand j’entends des gens dire qu’ils adorent la communication non violente, qu’ils ont fait plein de stages, cela me fait peur parce qu’on est avec des gens qui ont plein de volonté, des systèmes de valeur très élevés mais qui n’arrivent pas à mettre en adéquation leurs valeurs et les réalités du terrain. Avec des personnes hypersensibles, tout est très compliqué. Et je préfère attendre des choses très pragmatiques en essaiyant de faire des choses de manière simple. Si tout vous agresse, tout vous blesse cela va être difficile de travailler parce que oui la vie est blessante et oui elle agresse assez. C’est cela que je trouve difficile dans la coopération : il y a des gens qui dans leur philosophie et leurs envies ont envie de coopérer mais en vrai ne savent pas du tout ce que cela veut dire. Comment arriver à prendre soin en restant dans quelque chose de réaliste parce que tu ne peux pas tout le temps prendre soin à 200 % ?
et à l’inverse qu’est-ce qui te semble facilitateur pour un projet coopératif ?
Je crois beaucoup à l’intelligence collective et pour le coup il faut l’expérimenter aussi au quotidien. Les outils d’intelligence collective comme écrire ensemble, les propositions martyrs, les techniques d’animation facilitent une production collective c’est top. Les outils sont facilitant, à condition de rester très flexibles, d ‘être hyper réactif et de savoir les utiliser. : il y a des outils qui, 8 fois sur 10 marchent mais deux fois cela ne marche pas. Il faut aussi parfois un peu fruster les gens avec des cadres qui peuvent paraître rigides mais qui finalement font naître la créativité. Je m’intéresse beaucoup aux cadres, à la méthode : un cadre d’un côté c’est restrictif mais d’un autre c’est nécessaire parce que cela permet être créatif quand tu sais dans quoi cela t’enferme.
La question de la posture
La posture est une question qui m’interpelle depuis longtemps, j’ai eu la chance de ne pas me définir seulement par le professionnel de faire plein de gymnastique dans ma tête, de me poser plein de questions : c’est quoi travailler ? C’est quoi être engagé ? Ces chemins que j’ai fait parce que cela m’intéressait un moment donné m’ont permis de régler plein de problèmes de moi à moi. Je me rends compte aujourd’hui que c’est un sacré atout.
Pour certains c’est compliqué : qu’est-ce que je peux dire ? c’est quoi fiche de poste ? qu’est-ce que je vais revendiquer derrière ? où commence mon moi professionnel et où mon moi personnel s’arrête ? Si cela n’est pas résolu, il y a un vrai problème de posture et de positionnement. Parfois dans les groupes les gens s’accrochent sur des questions identitaires : « ce n’est pas ma proposition qui était retenue » du coup le projet ne m’intéresse pas où pire ds personnes vont aller plomber un projet parce que ce n’est pas le leur et cela me rend malheureuse. Et de ce côté là le monde de l’ESS n’est pas meilleur que les autres ! Parfois on gagnerait à se faire un vrai examen de conscience pour savoir ce que l’on peut apporter et ce que l’on ne peut pas apporter, quelles sont nos limites plutôt qu’ensuite de le faire ressentir aux autres et de se sentir agressé par le monde entier.
Est-ce que transition citoyenne se considère comme un commun ?
Oui, complètement et on a participé à des ateliers pour Brest en communs 20171 [1]
Pour moi, les communs c’est le pouvoir d’agir du citoyen dans l’espace public, les communs ce n’est pas que numérique ce sont aussi les actions sur l’espace public comme lesincroyables comestibles. Brest en transition essaye de valoriser le pouvoir d’agir du citoyen de chacun à son niveau, à sa responsabilité. Ce qui nous intéresse c’est de réussir à mieux vivre ensemble.. Transition citoyenne est très transversal, on va mettre en avant des initiatives de terrain de jardinage, autour du réemploi, toutes ces choses pratico pratiques qui démontrent par le faire et on va être aussi sur comment faciliter l’appropriation des données pour que les personnes puissent mieux comprendre leur environnement.
Je me rends compte aussi de cette particularité brestoise d’avoir très tôt rapproché le numérique de l’ESS et du développement durable, qui n’a forcément lieu sur tous les territoires. C’est une valeur ajoutée de Brest, de ces communautés qui se croisent et se rencontrent, avec un vrai réseau associatif très fort et un monde de l’ESS petit mais quand même étoffé Une culture commune se construit notamment avec les formations Animacoop, les temps de Brest en communs et tous ces ateliers proposés par le service d’internet et expression multimédia de la ville.
Brest transition citoyenne ou ville en transition ?
Ce nom Brest transition citoyenne, c’est parce que l’on est citoyen avant tout, c’est notre positionnement. Au départ on s’était posé la question est-ce que sont les structures qui adhèrent ? mais on a choisi d’être là d’abord en tant que citoyen.
Dans beaucoup d’associations tu dois avoir un modèle économique, prouver que tu étais là, jouer ta place .. Dans Brest en transition, j’aime bien le côté un peu gratuit : on n’a pas d’argent qui doit rentrer, on n’est pas là pour revendiquer et se positionner.
Cela m’a fait du bien de m’impliquer dans Brest en transition, parce qu’avant que je faisais partie d’un réseau de salariés ou chaque fois l’on rencontrer d’autres salariés chacun parlait de sa préoccupation autour de son modèle économique de combien ils allaient pouvoir vendre ceci , je comprends aussi cela ; mais cela fait du bien de remettre le citoyen au centre et de ne pas avoir cette pression là. Le parti pris du don fait du bien aussi pour soi et il est réel dans les fondamentaux de la transition citoyenne.
Est-ce qu’il y a des réseaux autour des transitions analogues au votre en Bretagne ?
Il y a plein de trucs sur le pays de Brest : Goasven, magasins de producteurs et café associatif à Logonna Daoulas, Tam Ha Tam, collectif d’écocitoyens de Plougonvelin, zéro déchets du finistère nord, et aussi des réseaux plus institutionnels.
En Bretagne tu as le territoire du Méné, Clim’action Bretagne Sud , selon d’autres modèles, avec des partis pris qui différents en fonction du territoire, de logiqued d’acteurs, de leur ancrage. Même si on aborde le même sujet, il n’y a pas forcément les mêmes finalités et on va les aborder de manière différente.
En termes de lecture ou de personne qui ont pu t’inspirer s’est inspirée sur la coopération ou les communs ?
J’ai trouvé très intéressante la conférence avec Jean-Michel Cornu, le fait de mettre des mots sur des choses déjà vécues.
Sur la coopération, j’ai fait pas mal de choses aussi autour de l’autobiographie raisonnée avec que Jean-François Draperi, ce sont des outils qui sont très inspirant
ou l’éducation à la complexité d’Edgar Morin
mais en vrai j’ai du mal à avoir des maîtres à penser ..