Médiations numériques, un pas de côté : une économie contributive en coopération ouverte !
Sollicité pour une intervention à la table ronde : "Quelles sources de financements pour les actions de médiation numérique ?" pour la rencontre Numérique en communs de sud-Charente, voici une contribution qui reprend quelques éléments structurants de la démarche d’inclusion numérique développée à Brest depuis 20 ans (1997).
Dans l’espace contraint de 6 minutes je ne pourrai pas détailler la présentation d’une dynamique en économie contributive qui constitue un pas de côté par rapport aux modèles actuels (hubs, appels à projets compétitifs ..) dans un contexte de dématérialisation sans alternative d’accueil physique de proximité.
Aussi je vais juste indiquer les grandes lignes d’une démarche de politique numérique inclusive développée à Brest depuis plus de 20 ans et qui se poursuit aujourd’hui. [1]
Dans une ville qui n’est pas particulièrement riche le premier principe pour cette politique publique a été un « Faire avec » qui facilite l’implication des acteur.ice.s du territoire. Ainisi avec un budget très modeste (1 à 2 € par habitant), il a été possible de mettre en place en 10 ans (1997-2007) une centaine de Points d’Accés Publics Internet (les Papis) de proximité (à moins de 400 m de la plupart des habitant.e.s). Si dans des quartiers politiques de la ville, deux emplois sont pris en charge par la ville, la plupart de ces Papis sont une implication des acteur.ice.s des lieux d’éducation populaire et de solidarité. L’inclusion numérique est ainsi intégrée dans les activités en s’appuyant sur un large bénévolat. Dix ans plus tard les Papis sont toujours là avec une évolution des publics vers une demande de plus en plus sociale comme l’ont montré les 3 enquêtes réalisées.
Dans le cadre du projet Riposte Créative Bretagne sur les ripostes face à la crise sanitaire et aux crises à venir et au croisement du Labacces sur l’accès aux droit porté par le Tilab laboratoire d’innovation publique de la région Bretagne et des services de l’état en région, nous avons initié une gare centrale sur les médiations numériques et l’accès aux droits [2] qui rassemble, dans une écriture ouverte à tous, les études publiées en Bretagne (ville de Brest, labaccés, GIS Marsouin, région ..). La notion de gare centrale, appelée ici gare d’aiguillage dans une vision de réseau en archipel désigne un « espace de partage d’information qui rend visible tous les éléments utiles aux membres d’un collectif pour y agir en collaboration ». [3]
Le second volet de cette économie contributive est l’appel à envie de faire, un appel à projet où, depuis 17 ans, TOUS les projets sont retenus. Cette démarche en attention et en soutien aux envies de faire favorise l’implication des acteur/ice.s locaux et permet de soutenir chaque année une quarantaine de projets avec un budget de 50cts d’€ par habitant. Alors que la plupart des appels à projets basés sur la compétition laissent de côté une majorité des envies de faire et développent une culture de la compétition et du "cacher notre copie", ici tous les projets sont publics et coopèrent. [4]. Ce donner à voir des projets publiés chaque année ne va pas de soi dans une société où nous avons appris à l’école à cacher notre copie plus qu’à publier. C’est aussi une valorisation, une reconnaissance qui valorise et renforce le pouvoir d’agir des acteur.ice.s locaux. C’est aussi un changement de posture pour la collectivité dont les communications sont habituellement centrées sur son action propre plus que dans l’accompagnement d’une écriture ouverte à tou.te.s.
Cette démarche d’inclusion numérique, en frugalité, nécessite un temps long, au rythme des changements de culture et d’une appropriation de la culture de la coopération par les acteur.ice.s :
– il a fallu dix ans pour que le dernier équipement de quartier devienne un PAPI qui concerne aujourd’hui les mairies de quartier, bibliothèques de quartier, centres sociaux, patronages laIques ..
– c’est au rythme d’un quartier par an que l’accès accompagné à internet en habitat social à 1 € par mois est aujourd’hui adopté, après à chaque fois un vote des habitat.e.s, dans treize quartiers à Brest. [5]
– la culture de la coopération c’est aussi 10 à 15 personnes formées à l’animation de projets coopératifs chaque année dans les formations hybrides Animacoop (une centaine d’heures sur 13 semaines) qui crée progressivement un terreau fertile pour une coopération ouverte, socle des rencontres tous les deux ans du Forum des usages coopératifs.
C’est dans cette démarche d’apprendre ensemble que nous ébauchons en Bretagne un projet de "Communauté apprenante des acteur.ice.s des médiations numériques et de l’accès aux droits en Bretagne" reliant chercheurs, collectivités acteur.ice.s de l’éducation populaire et des médiations numériques.
C’est au croisement du recrutement prochain de centaines de conseillers en Bretagne, de cet éco-système et de nos pratiques de coopérations qu’est né le projet initié autour de réunions labaccés d’une communauté apprenante des médiations numérique en Bretagne.
- Parce que nous pensons que la formation l’accompagnement ne concerne pas que les conseillers nouvellement recrutés mais tout autant les travailleurs sociaux, les acteurs du service public, les enseignants confrontés au quotidien à la médiation numérique et à l’accès aux droits ;
- Parce que l’expérience acquise par les acteurs qui la pratique leur donne une expertise d’usage source de connaissance et d’accompagnement pédagogique qu’il est possible de reconnaître, d’impliquer et de valoriser ;
– Parce que la richesse des travaux de recherche action, d’innovation publique et de politique publique déjà menés en Bretagne rend possible une recherche-action-formation qui croise les savoirs et s’enrichit mutuellement.
A travers ces éléments, très succincts du fait des 6 mn imparties, j’ai bien conscience de faire un pas de côté.
On pourrait aussi rêver d’un accompagnement par les services publics de l’état qui consacrerait la moitié des économies réalisées par la dématérialisation à un accompagnement en accueil physique des personnes en difficulté avec les procédures mises en place, mais cela risque d’être une illusion, les projets brestois ayant jusqu’ici été auto financés localement.
Je suis persuadé que dans ce temps où les crises se multiplient et qui vont grandissantes, il nous faut inventer de nouvelles façons de faire, frugales, inclusives et en coopération ouverte pour contribuer à un un monde vivable et désirable.
« Dans ce monde qui ne peut plus fonctionner comme avant, le pire peut arriver : les crises écologiques accélèrent la montée des inégalités les replis sur soi. Il nous faut relier transition écologique, transition sociale et transition démocratique pour inventer de nouvelles façons d’être et de vivre ensemble, pour imaginer des futurs désirables »
Appel de Tournai août 2019.