Très peu de collectivités autorisent la réutilisation des contenus publiés, pourquoi cette fermeture ?

, par  Michel Briand , popularité : 4%

Je viens de réaliser une première collecte des sites en Bretagne (et 44) qui autorisent la réutilisation de leurs contenus. Et il faut bien se rendre compte que l’interdiction est la règle générale choisie par les municipalités, les départements et la région. [1]

Sur les 129 sites mis en partage recensés dans cette collecte, je n’ai trouvé que 5 communes : Brest, Lanester, Plouider, St Urbain et St Médart en Ille à autoriser une réutilisation de leurs contenus.

Une mention particulière pour Brest où une série de sites contributifs ouverts à tous en écriture a-brest, eco-sol-brest, solinter-brest, territoire-responsable-brest et egalite-femmeshommes-brest sont proposés en licence par défaut CC by sa.

A ma connaissance, ayant été élu local au numérique à Brest durant 19 ans, mettre ces contenus en partage n’a jamais posé problème alors que des dizaines de milliers de contenus ont été publiés depuis plus de 15 ans.

Au contraire l’usage d’une licence Creative Commons qui élargit les libertés d’usage en explicitant les conditions du partage facilite une rediffusion des contenus publiés et augmente la visibilité des contenus du site et donc des initiatives de la collectivité et acteurs du territoire.

Pourtant une fermeture largement présente

Lorsque vous consultez les menions légales d’une collectivité, communauté d’agglomération vous tombez en général sur une mention d’ interdit et de menace telle celle d’une grande collectivité de Bretagne :

Toute reproduction, représentation, utilisation ou modification, par quelque procédé que ce soit et sur quelque support que ce soit, de tout ou partie du site, de tout ou partie des contenus qui le composent, sans avoir obtenu l’autorisation préalable de la Ville de .... , est strictement interdite et constitue un délit de contrefaçon.

contrairement à l’ouverture en domaine public des services de l’état

Pardoxalement, la règle pour les documents publics de l’état est qu’ils relèvent du domaine public et sont donc librement réutilisables comme le rappelle par exemple le site Interactik sur le numérique éducatif dans l’académie de Rennes

"Depuis la publication de l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, ces informations peuvent être réutilisées à d’autres fins que celles pour lesquelles elles ont été produites, et particulièrement les informations faisant l’objet d’une diffusion publique.

Les documents publics ou officiels ne sont couverts par aucun droit d’auteur et peuvent donc être reproduits librement."

mentions légales d’Interactik

Alors pourquoi cette politique d’interdiction des collectivités ?

Je n’ai pas de réponse satisfaisante ..

 Il y a l’habitude d’enfermer, de garder pour soi de qui est produit par la collectivité alors que c’est écrit très souvent par des agents publics et que sont des informations publiques qui ne demandent qu’à être connues. On retrouve ici cet "apprendre à cacher notre copie" que beaucoup d’entre nous ont appris à l’école.

 Il peut y avoir la crainte d’un mésusage, ou le sens du contenu serait détoruné. Mais l’élargissement des libertés d’usage ne réduit pas le droit moral qui interdit le plagiat et le détournement (hors parodie). Et parmi les licence Creative Commons il y en a une, CC by nd qui autorise la seule reproduction à l’identique du contenu.

 La crainte d’un usage commercial  ? J’ai un peu de mal à voir quel type de contenu produit par une collectivité pourrait faire l’objet d’un usage commercial. Mais ce risque (très peu probable, en connaissez-vous un exemple ?) peut être écarté par l’usage de la clause nc (non commercial) des licences Creative Commons (CC by nc , CC by sa nc ou CC by nd nc).

 la délégation aux développeurs de site qui par habitude, par culture de la propriété choisisse de réaffirmer dans les mentions légales, le droit d’auteur le plus restrictif sans faire l’objet d’une discussion sur le fond avec la collectivité. [2]

 L’inertie des services juridiques des collectivités qui bloquent souvent les démarches d’ouverture, par non connaissance, mais aussi souvent par idéologie, peux être un travail de formation pour le CNFPT, les associations professionnelles ?

 Les obligations légales d’ouverture pour les collectivités ne concernent actuellement que les données et pas les oeuvres (contenus) et on doit s’en remettre à l’ouverture volontaire...

 Et enfin l’absence de culture des élus et directeurs de collectivités sur les questions de droits d’usage élargis. Partager, agir en coopération ouverte ne font pas partie de la culture dominante des collectivités locales.

Une fermeture questionnée par la coopération ouverte et la compostabilité des projets

Elu local (1995-2014), j’ai appris l’intérêt de la coopération ouverte qui permet de "faire avec", "en attention à" et "donne à voir" en transparence (voir à ce sujet "Premier pas vers une gouvernance contributive" ).

Petit à petit la coopération ouverte qui partagent non seulement au sein du groupe mais avec le monde se diffuse (voir par exemple le colloque sur la pédagogie dans l’enseignement supérieur qui avait pour thème la coopération et la conférence "La coopération, un changement de posture : vers une société de la coopération ouverte, diapos commentées et conférence en ligne à QPES 2019".

Mais c’est surtout la crise du monde confrontée à un avenir incertain face au changement climatique qui révèle une question fondamentale : à quoi servent nos idées, nos projets, qu’en restera-t-il au delà de nous ?

Si nous comprenons que nous devons apprendre à mieux utiliser les matières premières, à préserver la planète pour nos enfants mais qu’en est-il de nos idées ? des contenus que nous produisons ?

Ces questions posées par Laurent Marseault et Romain Lalande dans l’article "La compostabilité : pour un écosystème de projets vivaces" publié par Vecam nous interpelle chacun.e comme citoyen-ne du monde.

 Pourquoi si l’initiative d’une collectivité aide à atterrir vers cette transition indispensable ne pas en encourager le partage et la diffusion ?

 Avons nous encore le temps de faire chacun pour soi, en compétition face à l’urgence des crises que traverse notre monde ? ou au contraire apprendre à coopérer entre humains quelque soit notre place .

 Les collectivités locales n’ont-elles pas une place essentielle pour encourager, accompagner un apprendre à vivre autrement qui s’appuie sur la coopération ouverte et auquel des milliers de personnes aspirent sur nos territoires ?

Bien sur ouvrir et partager ses contenus n’est qu’un tout petit pas pour la transition mais le partage et la coopération ouverte sont aussi un changement de posture.


Merci à celles et ceux qui auraient des arguments ou contrarguments sur cette ouverture et à l’indication de sites non pris en compte dans cette première collecte sur l’annuaire des contenus mis en partage en Bretagne (et 44) ou de me les indiquer pour que je le fass.

Mihel point briand at imt-atlantique.fr

Si vous en connaissez d’autres merci de les rajouter à .

[1une analyse concernant les associations et organismes de service publics suivra.

[2Dans l’exemple du Médiablog coopératif l’expérience a montré que la majorité des sites de lycées et collèges faisaient le choix d’autoriser une réutilisation dès lors que la l’animatrice du projet avait expliqué les choix possibles